Jean Chrysostome Louis Müller


Les Müller d'Alsace

Jean Chrysostome Louis Müller est né le 21 septembre 1740 à Barr, pittoresque bourg d’Alsace, situé à mi-chemin entre Colmar et Strasbourg [carte]Il est le onzième enfant de Jean Chrysostome, gouverneur du bourg, et de Marie Antoinette Hirsinger. Son père fut également prêteur royal [1] à Obernai et Rosheim, petites villes voisines. 

Barr – Place de l'Hôtel de Ville où présidait son père.
Le bourg comptait près de 3 500 habitants en 1793.

Son grand-père paternel, François Matthias Müller, fut lui aussi prêteur à Colmar, et Jean Chrysostome, le père de ce dernier (né vers 1650), conseiller à Saverne. Du côté maternel, François Joseph Hirsinger avait été bailli de Wintzenheim, prévôt d'Empire à Kaysersberg, avocat au conseil supérieur d'Alsace et conseiller du roi.

Müller faisait partie d'une fratrie de dix-sept enfants, dont au moins huit atteignirent l’âge adulte. L'aîné de ses frères, François Xavier Christophe, deviendra gouverneur de la place frontalière de Lauterbourg, tandis qu’Antoine Victor, son cadet, choisira comme lui une carrière ecclésiastique : il sera curé à Rosheim, village voisin d’Obernai.

Formation et acquisition du prieuré

À 18 ans, Müller part faire ses études à Paris, à la Sorbonne. Il a pour professeur de théologie Antoine Lambert, avec qui il conservera longtemps des liens sous l'Ancien Régime. Bachelier, il revient en Alsace où il est fait chanoine. [2]

La Sorbonne (Université de Paris) au XVIIIe/XIXe siècle.

Il a déjà 43 ans lorsqu’il acquiert le prieuré de La Foye-Monjault et celui du Cormenier. Le bail est passé avec les bénédictins de Montierneuf le 3 décembre 1783, mais l'affaire est probablement conclue à Paris. C'est à son ancien professeur de théologie, abbé commendataire de La Foye depuis 1770, qu'il rachète cette charge.

Pour Müller cette acquisition est avant tout un investissement financier, et il se rend à La Foye afin d'évaluer les besoins de sa seigneurie et d'en améliorer les rendements. Durant l'été de 1785, il séjourne au prieuré et fait planter ses fermes de vignes et de sainfoin. Une note datée du mois d'août témoigne des tensions qui prévalent entre lui et Louis Isaac Bastard de Crisnay, son fermier seigneurial, qui lui soustrait une part conséquente de ses rentes. Mais il est loin de chez lui et doit bientôt repartir pour l'Alsace, laissant à contre-cœur l'exploitation de ses terres audit Bastard.


Au début, l’acquisition du prieuré paraît être une bonne affaire, lui rapportant plus de 10 000 livres par an [6]. Mais par ces temps de crise, les Français supportent de plus en plus mal le joug fiscal qui leur est imposé. Les absents, dit-on, ont toujours tort, et les notables de la paroisse ont beau jeu de détourner sur lui la colère des paysans. Le curé Bory n’est pas le moindre de ses détracteurs : à travers ces deux hommes se joue tout le conflit qui oppose alors âprement le haut et le bas clergé.

En janvier 1789, Louis XVI convoque les États généraux. En mars, Müller se rend à Poitiers pour la rédaction du cahier du clergé diocésain [3]. Dans le Cahier de doléance de La Foye-Monjault, sous la plume du procureur Vien, les paroissiens se plaignent que « la plupart des terres et la plus grande quantité payent la sixième et la huitième partie des fruits au seigneur qui se trouve prieur châtelain, gros décimateur. »

Avec la Révolution, les choses se gâtent. Par le biais des assemblées, les notables du village remettent en cause sa légitimité : comment pouvait-on justifier qu’une personne, qui ne rendait aucun service à la paroisse, reçoive la majeure partie des bénéfices issus du labeur des paysans ? Les députés de la Constituante vont rapidement répondre à leur attente : en août 1789, les droits féodaux, la dîme, la capitation et les banalités, qui constituent l’essentiel des revenus du prieur, sont abolis.

L’année suivante en février, les officiers municipaux, fraichement élus, font état de ses possessions foncières en vu de leur imposition. Exercice superflu car, en 1791, la vente des biens nationaux le dépossède de sa châtellenie.

Müller semble avoir déjà émigré à cette date [4]. On sait en effet qu’il est réfractaire à la constitution civile du clergé (votée en juillet 90), et qu'il part en Allemagne rejoindre certains membres de sa famille. Pour les avoir aidé à partir, son frère aîné François Xavier Christophe, commandant de la place de Lauterbourg, est condamné à mort et guillotiné à Colmar en 1794.

Le baron Müller, neveu et filleul du chanoine

En 1774, Müller avait parrainé et donné son nom à Jean Chrysostome Louis Müller, le fils de son frère aîné et d'Anne Marie Pauline de Rozières.

Le baron de Müller sous l'Empire
Tout comme à La Foye, à la même époque, le sort d’André Vien avait été intimement lié au patronage du curé Bory, Müller partagera un lien analogue avec son neveu. D'une certaine façon, n'ayant pas d'enfant, les religieux « adoptaient » leur filleul.

Ce dernier devait connaître un destin remarquable. Militaire dès l’âge de quinze ans, il s’était engagé en septembre 1789 en tant que sous-lieutenant dans le Royal-Suédois, un régiment d’infanterie allemande de Louis XVI. En 1791 lorsque Müller émigre, son neveu a déjà rallié les troupes royalistes du comte de Provence.

En 1792, il fait parti des soldats qui accompagnent le futur Louis XVIII en direction de Valmy, afin d'affronter l'armée républicaine. L’année suivante, il intègre le corps des chevaliers-dragons de la Couronne sous le commandement du prince de Condé, dans lequel il combat avec le grade de capitaine jusqu’en 1795. [5]

Rentré en France cette année-là, il réintègre l’armée républicaine et occupe divers postes de gestion administrative, avant de devenir régisseur général des vivres de l'armée impériale.

Le prieur Müller devra quant à lui attendre 1801 et la signature du concordat avant de pouvoir revenir au pays. Il sera fait chanoine honoraire de la cathédrale de Strasbourg, l'un de dix nommés en 1803 lors de l'organisation de ce diocèse, titre qu’il gardera jusqu’à sa mort.

En 1811, il préside au mariage de son neveu à Sainte-Marie-aux-Mines, près de Colmar. Baron dès la Restauration, ce dernier est nommé maire de Sainte-Marie-aux-Mines puis plus tard de Colmar (de 1817 à 1830). Officier de la légion d’honneur en 1825, il sera président du conseil général du Haut-Rhin.

Le baron de Müller, maire de Colmar

Quels souvenirs cet Alsacien de cœur avait-il conservé de son court passage en Saintonge ? Quelques vagues impressions peut-être, dominées par les couleurs chaudes des étés de ses visites : des maisons en pierre calcaire du pays, couvertes leurs tuiles romanes cuites sous un soleil de plomb ; des étendues de vignes, à perte de vue, aux racines noueuses ancrées à une terre sèche et caillouteuse... Les chais et les réserves de vin du prieuré, qu'il avait dû gouter dans la cave à voute d'ogives à la lueur de chandelles... Mais aussi, par contraste, une population hostile dont la déférence obligée masquait mal une réserve sourde. Et puis quelques gens de caractère comme le fermier Bastard, et plus encore le vieux curé Bory, aux traits durs, et dans les yeux duquel il avait lu la défiance aigue d'une époque... Néanmoins, sans doute n'avait-il pu s'empêcher de noter, du temps de sa visite, ce qui le rendait si semblable à ce dernier : l'étroit lien qui existait entre lui et son filleul adoptif. 

Il décède à Strasbourg en février 1836, âgé de 96 ans. Son neveu assiste aux obsèques. Affecté de « marasme sénile » lors des dernières années de sa vie, il n'en avait pas moins survécu à tous les membres de l’assemblée paroissiale de La Foye…


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Pour en savoir plus


Histoire du prieuré et de l'église de La Foye-Monjault

Biographie du curé André Jules Bory

Les institutions municipales de La Foye-Monjault, de l'Ancien Régime à l'Empire


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Carte

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Documents
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Acte de baptême du chanoine Müller, à Barr en 1740.


















Extrait de  la Liste générale des pensionnaires de l'ancienne liste civile, avec l'indication sommaire des motifs de la concession de la pension, suivant la loi du 23 décembre 1831, Impr. royale (Paris), 1833, folio 359 du livre (ou p366 du PDF). Ce livre de 500 pages dresse la liste des nobles, émigrés ou liés à ceux qui avaient pris le parti du roi durant la Révolution, et recevant pensions et secours (ou dédommagements) jusqu'en 1832. Jean Chrysostome Louis (baron de) Müller, noté comme neveu d'émigré, recevait 1,000 francs. Benoîte-Marguerite Béraud-Darimont, la seconde épouse de son père (guillotiné à Colmar en 1794) recevait quant à elle 300 frs.
























Deux pièces du dossier de la Légion d'Honneur du baron de Müller :
Extrait d'acte de naissance (en latin) du baron, nommant son oncle,
le chanoine de Wissembourg, comme étant son parrain.


































États de service du baron de Müller, de son engagement dans l'armée, en 1789, jusqu'à la Restauration.






























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Notes
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[1] Prêteur royal : fonction introduite en 1685 par Louis XIV dans les régions du Saint-Empire rattachées au royaume. Le prêteur présidait au Magistrat, système de gouvernement démocratique des villes franches comme Strasbourg et Colmar. Il était chargé de représenter les intérêts du roi.   [<-]



[2] Müller est fait chanoine de Wissembourg dès 1774. Le chanoine est un membre du clergé habitant dans des abbayes mais menant une vie non cloîtrée, qui s'investissent de missions sacerdotales ou d'enseignement. Ils sont parfois responsables de paroisses. Les chanoines laïcs, par opposition aux chanoines réguliers, ne sont engagés dans aucun ordre. Le titre de chanoine honoraire de la cathédrale de Strasbourg qui sera donné à Müller en 1803 était « accordé à des ecclésiastiques qui ne résidaient pas auprès de la cathédrale et n'exerçaient pas de fonction effective dans le conseil de l'évêque ou le chapitre d'une église donnée. »   [wikipedia]   [<-]




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[3] « Le 20 mars 1789, à Poitiers,  dans la salle des exercices du collège, se tint une assemblée ayant pour objet la rédaction du Cahier des doléances du clergé diocésain. Au nombre des ecclésiastiques réunis à cette occasion se trouvaient Girard, curé de Marigny, Arnaud, curé du Cormenier et fondé de pouvoir de Melin, curé de Belleville, Müller, prieur de La Foye-Monjault, Landey, diacre, fondé de pouvoir de Bidault de la Chauvetière, curé de La Charrière et Cortial, prieur-curé de Saint-Martin-d’Augé, fondé de pouvoir du curé de Prissé. » Henry Demellier, Notes historiques sur le canton de Beauvoir-sur-Niort, p24.    [<-]


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[4] Il émigra au plus tard entre septembre 1792 et mai 1793. 

Après juillet 1792, les prêtres réfractaires commencèrent à être l'objet de persécutions violentes. Les premiers massacres avaient eu lieu à ce moment là, suivant un arrêt d'expulsion du territoire décrété par l'Assemblée, puis de leur déportation en Guyane en septembre.

Dans son ouvrage déjà cité, Demellier rapporte le sort des ecclésiastiques de la région, qui comprend l'émigration de Müller : « Méprisé par le peuple, combattu par les philosophes ennemis de toute religion, le clergé dut bientôt renoncer à exercer son ministère. Chez nous, c'est ce que firent Rouvier et Melin, curés de Saint-Étienne-la-Cigogne et de Belleville, qui se retirèrent l'un à Niort, l'autre en famille, en attendant des jours meilleurs. De sorte qu'à partir de fin mai 1793, il n'y eut plus chez nous aucune cérémonie du culte catholique. Les autres curés du canton quittèrent aussi le pays : l'abbé Charraudeau, curé de Beauvoir-sur-Niort, l'abbé Arnaud, curé du Cormenier, l'abbé Girard, curé de Marigny, l'abbé Ardouin, Curé de Thorigny, l'abbé Barbaud, curé de La Revêtizon-Chabot, se retirèrent en famille. L'abbé Müller, prieur de La Foye-Monjault, émigra en Allemagne. » [Archives de l'Évêché de Poitiers. De Lastic-Saint-Jal, loc. cit. p223-225. 297. Bibliothèque de la Rochelle, n825, Ms. Bonnerot, p49, 70.]      [<-]


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[5] Par coïncidence, Jean-Baptiste Gaspard de La Perrière, ancien mousquetaire de la 2e compagnie de la garde du roi, lieutenant des maréchaux de France et propriétaire de la seigneurie voisine de Tesson-Thorigny, atteint par la loi des suspects et contraint lui aussi à l’exil, servit également dans l’armée de Condé, au commencement des combats, aux côtés des Autrichiens. Propriétaire voisin du domaine de Müller, c'est lui qui avait racheté le prieuré de La Foye en mars 1791, lors de la vente des biens nationaux du clergé.
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[6] Le pouillé de Montierneuf estime en 1788 les revenus du prieuré de la Foye-Monjault à 10 000 Livres, mais l'estimation des mêmes revenus en 1791, que l'on pense sous-évaluée (faite à l'attention de Jean-Baptiste Gaspard de La Perrière  en vue du rachat du prieuré par ce dernier, à l'occasion de la vente nationale des biens du clergé), était de 18 500 Livres.
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2 commentaires:

Tringlottunis a dit…

Belle rédaction biographique. Je suis ravi d'avoir pu vous donner certains éléments pour la détailler un peu plus.
Philippe ROBIN

André Lemoine a dit…

Merci encore Philippe, votre aide m'a effectivement apporté des éléments indispensables à la rédaction de cette page, tout en contribuant à la connaissance d'un personnage clé de cette période de l'histoire du village.

Bonne continuation et au plaisir !
André