Réflexions d’Édmond Penot sur
les membres du conseil municipal
de la commune

Le poème qui suit fut écrit en avril 1939, quelques mois avant la déclaration de guerre avec l’Allemagne. Pour l’heure, la politique locale occupait encore tous les esprits à La Foye. En effet, le maire de la commune venait de décéder quelques mois plus tôt. Alphonse Boisselier, 72 ans, en était à son deuxième mandat. Il avait donc fallu organiser de nouvelles élections. 

Celles-ci avaient eu lieu le dimanche 5 février. Et une semaine plus tard, le dimanche 12, la liste l’ayant emporté se réunissait en mairie. En fait il s'agissait pour la plupart de membres de l’équipe municipale précédente qui avaient été reconduits : Léonce Geoffriau, Gustave Sabourin, Auguste Désiré, René Berlouin, Louis Canteau, Hubert Gatineau, Narcisse Riffault, Raoul Chevalier, Alexandre Arnaud et François Arnaud. Et pour remplacer le regretté Alphonse Boisselier ainsi qu'Arthur Vinet (démissionnaire ?), deux nouveaux venus avaient rejoint l’équipe :  Roger Laidet et Jean Moreau, ce dernier élu secrétaire de séance pour l’élection. 

Au vote par bulletins secrets, Léonce Geoffriau (1885-1966), cultivateur au bourg, l’emporta avec 9 voix, et René Berlouin n’ayant obtenu qu’une voix devint premier adjoint. René sera mobilisé quelques mois plus tard : il partira au front et sera fait prisonnier en Allemagne. Après-guerre en 1949, il deviendra à son tour le maire de La Foye.

Pendant toute cette période, Édmond Penot fut secrétaire de mairie. Instituteur réputé de la grande section à La Foye, celle du « certif », il cumulait les deux fonctions comme le voulait la coutume depuis des décennies. En effet, les instituteurs étaient réputés pour maitriser parfaitement la langue, et aussi pour prendre des notes et écrire de façon très lisible ; les registres en mairie en témoignent ! Édmond sera lui aussi maire juste après la libération.

Il assistait bien sûr à toutes les séances du conseil, et de son poste il observait les membres du nouveau conseil municipal (qu’il appelle « administration »). Un jour, il s’amusa à dresser leur portrait dans un poème humoristique. 

La satire y est souvent féroce mais elle traduit assez bien l’ambiance de l’époque où les antagonismes gauche-droite, cléricaux-anticléricaux, étaient particulièrement exacerbés.

Dans ce poème, le nombre de syllabes de chaque vers est variable, mais la tournure reste poétique !


***

Édmond Penot :

Petit tour d’horizon de nos conseillers


Arnaud François du conseil est le doyen, 

Il a toute l’estime de ses concitoyens. 

Depuis longtemps déjà acquis à La République

Fut toujours victorieux dans les luttes politiques.

Bientôt treize lustres passés dans l’administration

Constituent un record de plus d’une ambition enviée.

Aussi en raison de son grand âge, 

Nous nous inclinons en lui rendant hommage

Puisse-t-on me permettre avant qu’il ne soit trop tard,

De pouvoir souhaiter au vénérable vieillard

Qui toute son existence rejeta les dogmes,

Que sa vie serve d’exemples aux hommes.


Sabourin Gustave est un timide

Qui n’avise pas le bruit. Il devient livide

Si un nuage se lève et monte à l’horizon.

Tout lui semble perdu dans l’administration.

Plein de loyauté ainsi que sa franchise,

Il aime la justice et se formalise

Des partialités qui surgissent souvent

De certains collègues assez peu compétents.

De jugement très sain il va avec mesure.

Se prononce très peu mais d’une façon très sure.

Avant de parler regarde dans tous les coins,

De son œil furtivement inspecte avec soin. 

Il pense en procédant de la sorte

Que quelque indiscret se cache derrière la porte

Qui pourrait surprendre ses idées, son secret,

Et provoquer chez ses amis de fâcheux effets.

D’intervenir pour ou contre de façon publique,

Ferait juger trop facilement son opinion publique.

Anti communiste, pas socialiste du tout,

Mais bon républicain. C’est tout !


3° 

Riffault Narcisse [1] a le caractère militaire

Doublé d’un financier il courrait son affaire.

Il est à sa place dans l’administration.

A déjà mis de l’ordre dans la maison,

Converti les emprunts, mis tout à sa place. 

Des dépenses inutiles il ne reste plus trace

Sans se soucier du maire ni des autres valets, 

D’un grand coup de crayon allège le budget.

De politique parait n’en faire guère,

Cependant ses sympathies vont à Casimir [2] et Dorgères [3],

Et s’il n’est pas « croix de feu » [2],

Je crois qu’il s’en faut de bien peu.

D’un tempérament quelque peu égoïste,

Ressemble en cela aux grands capitalistes.

Refuse ou supprime à de simples rémunérés,

De petits crédits pourtant bien gagnés.

Je souris si un parlementaire dans un juste oratoire,

Venait à demander d’une façon provisoire,

L’amputation de quelques centimes sur les crédits alloués, 

À d’anciens fonctionnaires colossalement payés.

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[1] Narcisse Riffault sera maire un an, de 1943 à 1944. 

[2] Casimir : Surnom donné par ses adversaires au colonel François de La Roque (1885-1946), fondateur du mouvement des Croix de feu, puis du Parti social français, organisation politique nationaliste qui était en 1939 le premier parti de France. 

[3] Henri Dorgères ou le fascisme en chemises vertes. Henri d’Halluin (1897-1985), plus connu sous le patronyme de Dorgères, créa en Bretagne dans l’entre-deux-guerres un puissant mouvement politique catalysant la colère paysanne, pour la muer en un véritable « fascisme rural ». 


Arnaud Alexandre, un bon retraité,

Prend son sort en patience, et toujours en gaité.

Représente Treillebois. Né dans ce village, 

Il y met son dévouement et tout son courage.

Assez ambitieux de gloire et d’honneur

Pour passer son temps et couronner son bonheur,

Voulut mettre un corollaire à sa dernière étape :

Se porter sur les rangs pour briguer l’écharpe [4].

Le conseil municipal et la chance ne voulurent

Que dans le tourbillon il arrive au but.

Connait l’administration, et comme politique,

Se proclame inspiré par la République.

Ne passe sur rien, observe les règlements,

La loi, les décrets, et très strictement.

Descendu ici-bas des hauteurs sylvestres

Pour jouir avec douceur des plaisirs champêtres,

Avec sa famille au milieu de ses jardins,

En pays natal, avec tous ses voisins,

Nous lui souhaitons bien longtemps, avec gentillesse,

Le bonheur qu’il mérite dans sa verte vieillesse.

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[4] Devenir maire


Nous arrivons ainsi à Raoul Chevalier.

Qui est assurément un bon conseiller.

Ne contrarie jamais personne ! Il est assez docile,

Et cherche surement la tâche la plus facile.

Dans toutes les réunions il est le boute-en-train.

Dans les joyeuses fêtes il pousse son refrain.

Il s’échauffe à la tâche au sortir de la table,

Diffuse sa gaité et demeure peu stable,

Prend des airs de clown, monte sur les tréteaux,

Amuse la foule par ses meilleurs morceaux.

Dans ses moments de lassitude, son ancien maire

Le déridait facilement de sa grande inquiétude.

On voit que toutes les tâches ont quelque chose de bon,

Et que tout est pour le mieux dans l’administration.

Dans son attitude de paillasse en réunion publique,

On voit se résumer toute sa politique.


Geoffriau Léonce [5] était adjoint au maire.

Orgueilleusement cela semblait lui plaire.

Avec vanité et beaucoup de présomption

Essaye d’imposer sa volonté dans l’administration.

Leader socialiste il n’a plus souvenance

Qu’il livra au parti des complots à outrance,

Un peu vindicatif et surtout résolu

D’avoir pour lui le pouvoir absolu.

Nous le voyons dans nos coopératives

Prendre, pour troubler, des paroles agressives.

Souvent de mauvaises causes il se fait l’avocat

D’une piètre plaidoirie en soutien des débats.

Fatigue l’auditoire et tout reste sans suite,

Obligé, pour s’en tirer, de prendre la fuite.

Les échos silencieux n’ont rien d’impressionnant,

La victoire escomptée rentre dans le néant.

Aux élections prochaines chacun souhaite que l’on fauche

Tous les dictateurs de droite et de gauche.

Depuis quelques jours, élu à la plus haute dignité,

Il jouit triomphalement du rêve tant espéré.

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[5] Léonce Geoffriau sera maire de 1939 à 1943.


Gatineau Hubert, un bon citoyen !

Franc, loyal, possède tous les moyens

De se faire estimer comme politique.

Se trouve depuis quelques jours acquis à la République.

N’a point d’ambition, connait le devoir,

Ne fera rien pour s’emparer du pouvoir !

Strict assidu, ne manque pas une séance.

Ne contrarie jamais, attire la confiance

Des habitants de son village qui l’envoient siéger.

A chaque élection parmi les conseillers,

S’intéresse à tout, écoute bien tranquille,

Les paroles prononcées par les plus habiles,

Les coudes sur la table, la tête entre les mains,

Dans un bon petit somme, en attendant la fin.


Canteau Louis, conseiller hors commune,

Dans les élections il eut la bonne fortune.

Emporté dans le tourbillon, il fut élu.

Ayant déjà siégé il était bien connu.

D’un caractère irascible, aux idées peu commodes,

Il se hérisse parfois et la colère l’emporte.

Jaloux comme un caniche, tout comme ses voisins,

D’un mal imaginaire dont ils ne sont pour rien.

Est-il républicain ? Oui, c’est forcé, 

Car il essaie timidement de manger du curé.


Auguste Désiré a la parole facile,

Mais son tempérament n’est pas toujours tranquille.

Il est tour à tour soumis ou agressif,

Et quand ça le prend il vous pique jusqu’au vif,

Casse les assiettes, met les pieds dans le plat.

Si parfois il lui arrive d’encaisser les éclats,

Souvent manifestant une grande indifférence,

Change trois fois d’idées dans la même séance

De sorte qu’on n’est pas bien fixé sur son opinion

Ni sur ce qu’il peut bien faire dans l’administration.


10°

Berlouin René [6] est un gentil garçon,

Peut faire très bien dans l’administration.

Semble montrer des qualités assez bien prononcées.

Très bon caractère, une âme bien née, 

Du conseil municipal étant le chérubin,

Son trop jeune âge s’oppose à ce qu’on le juge bien.

Connait ses intérêts, et pour des raisons personnelles,

Convoite certains profits dans les fêtes officielles.

Serait heureux de voir inscrit sur le budget

De bons petits crédits pour bals et banquets.

Se mettra au courant, siégeant à chaque séance.

En attendant, de tout cœur nous lui souhaitons bonne chance.

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[6] René Berlouin sera maire de 1949 à 1953. Il travaillait au côté de son beau-père à l’hôtel du Chêne Vert. 


11° et 12°

Deux nouveaux se sont joints dimanche dernier.

Attendons de mieux les connaitre pour les féliciter.

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Documents annexes

René Berlouin, prisonnier de guerre :


Procès-verbal de l'élection municipale de 1939 :


Élections de 1945 :



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