Le marché et les halles


Scène de foire vers 1400.

Dès 1245, soit un ou deux siècles après la fondation du prieuré, un document rapporte qu'il existait à La Foye un « marché » autorisé par le seigneur de Chizé [1]. Marché ou foire ? Difficile de le savoir, car les deux termes étaient souvent confondus dans les écrits de l’époque.

Un peu plus tard, un manuscrit de l’abbaye de Montierneuf évoque l’existence de halles en bois, comme il a pu en exister à Mauzé ou à Beauvoir. Comme souvent au Moyen-Âge, elles devaient se trouver sur la place centrale ou sur celle de l'église, mais elles n'ont laissé aucune trace. Même à la Révolution, les premières municipalités pourtant si promptes à tout réglementer n’en font aucun cas.

Étals médiévaux au marché.

Il est cependant probable qu'un marché se soit constitué peu après la création du village. En plus de la vigne, les paysans cultivaient tous des légumes et élevaient par ailleurs quelques poules ou cochons pour nourrir leur famille. Les jours de marché leur permettaient d'écouler leurs excédents agricoles (poules, œufs, légumes, grain et vin), qu'ils troquaient entre eux ou revendaient aux notables.

Au-delà de l’approvisionnement, cette activité était une occasion pour les habitants de se retrouver entre eux. Avant l'existence des gazettes, on venait aux halles pour échanger quelques potins et prendre les nouvelles du royaume et de la région. Le village était alors prospère, son économie centrée autour de la culture de la vigne. Mais avec la crise du phylloxéra, tout allait bientôt changer.

Nouvelles foires et marchés
Avec la destruction des vignes vers la fin du XIXe siècle, de nombreux paysans avaient été contraints de se reconvertir à l’agriculture et à l’élevage. Les deux foires annuelles, adaptées pour répondre aux besoins de l'économie d'antan, s'avéraient désormais insuffisantes pour vendre la quantité de bétail et toutes les denrées qui avaient remplacé la viticulture (bœufs, vaches, brebis, volailles, beurre et fromages), ce qui obligeait les forains à se déplacer dans d'autres communes parfois très éloignées.

En conséquence, le conseil demanda au préfet l’autorisation d’organiser un marché au village qui se tiendrait tous les vendredis, sur la place de l’église et tout au long de l’allée qui y conduit. Faute de place, des bancs et étalages seraient installés pour les marchands, en appui sur les murs de clôture de chaque côtés de l’allée (celle-ci étant très étroite) :

L'allée de l'église vers 1910, où se tenait l'essentiel du marché.
Cachée par les arbres, l'église se situe juste derrière les gens à droite.
La même allée de nos jours, prise depuis l'entrée.
Sur le plan, on voit l'allée en vert avec la double rangée d'arbres,
qui se prolonge à gauche sur la place de l'église.

En 1886, la préfecture donna par ailleurs son aval pour l'organisation d'une nouvelle foire aux bestiaux. Les emplacements sur le champ de foire seraient gratuits. En contrepartie, le préfet demanda à ce que la municipalité finance la venue d’un vétérinaire pour inspecter les animaux. L’année suivante, Beauvoir réclamait à son tour la création d’un marché aux bestiaux qui se tiendrait les deuxièmes samedis de février. Cette initiative fut elle aussi bien accueillie et de nombreux éleveurs de La Foye s’y rendirent.

La couverture des étalages
La mise en place du nouveau marché n'alla pas sans quelques accrocs. Les marchands se plaignirent bientôt du peu de protection dont ils disposaient face aux intempéries. Pour les bouchers, charcutiers et teinturiers, en particulier, il n'était pas possible de travailler sous la pluie. Le 17 novembre 1889, afin d'y remédier, la municipalité décida de faire couvrir quelques bancs à l'usage de ces commerçants.

Mais comme les travaux avaient couté cher (140 francs de l'époque), la mairie fut déterminée à couvrir ses frais. Quelques semaines plus tard, lors du conseil du 23 décembre, le greffier rapportait que « Vu que le marché de La Foye est en bonne voie de prospérité, vu que les bouchers et autres marchands ont demandé des bancs couverts, a fait construire à l’heure actuelle trois bancs couverts, et jusqu’ici les marchands ont joui gratuitement de tous ces avantages… Mais considérant que maintenant les affaires qu’ils font au marché peuvent facilement leur permettre de payer un certain droit de plaçage… Considérant aussi que les bancs ne peuvent être affermés qu’aux bouchers, aux charcutiers et aux teinturiers, qui sont la principale cause de la réussite du marché… Considérant enfin que le conseil municipal n’entend pas rétablir les droits de plaçage généraux, c'est-à-dire que tous les marchands qui ne seront pas abrités aux frais de la commune ne paieront aucun droit…  Le conseil municipal demande à Mr le préfet l’autorisation de permettre au maire, Mr Martin, d’affermer les bancs de gré à gré depuis 5 francs jusqu’à 10 francs, en faisant cependant avec les adjudicataires un procès-verbal qui sera enregistré conformément aux lois… »

Le conseil reçu aussi des plaintes concernant la circulation : certains marchands ou clients pénétraient dans l’allée avec leur charrette ou stationnaient à l’entrée. En 1891, le maire décida donc de faire installer une chaîne à l’entrée de l’allée en proclamant : « Il est interdit aux marchands forains et aux particuliers transportant des denrées ou des volailles, de pénétrer sous les halles avec leurs voitures ou charrettes… »

Bien que les tarifs de placement furent régulièrement augmentés, le marché devant l’église ne cessait de grandir. Si bien que son emplacement se révéla bientôt inadéquat. Par surcroît, de nombreux commerçants réclamèrent à leur tour un banc couvert, quitte à payer un peu plus cher.



Les nouvelles halles
Dans sa séance du 18 février 1895, la municipalité estimait que la couverture de l’allée de l’église couterait au moins 1000 francs, et qu’en finalité il faudrait quand même déplacer le marché. Le maire, Félix Garnaud, proposa d’anticiper et de faire construire de vraies halles couvertes au centre du bourg. Et pour cela il proposa d’acheter une maison que serait prêt à lui céder son propriétaire, Louis Benoist, pour un montant de 1300 francs. Et comme Benoist avait loué cette maison à un agriculteur, Jacques Persuy, il fallait abroger son bail et lui verser une indemnité estimée à 50 francs (voir document ci-après).

Le conseil ne souhaitant pas augmenter les impôts pour financer cet achat, il décida de faire un emprunt de 3500 francs auprès du Crédit Foncier, payable sur 10 ans. On comptait sur la recette des futurs droits de plaçage afin d'assurer le remboursement de ce prêt.

Un entrepreneur d’Usseau, Louis Chagnaud, fut sollicité. Après une expertise, ce dernier proposa un devis de 2150 francs, accompagné des plans réalisés par son frère François. Le dossier complet fut présenté au préfet, qui donna le feu vert après validation par son architecte. L’acte de vente fut passé devant Me Daudet, le successeur de Me Lemoine à La Foye.

Sur le plan ci-dessus (déposé en préfecture au mois de mars 1995),
on peut voir que la place devant l’église était plantée d’une double rangée d’arbres,
tout comme pour l’allée de l’église. C’est ici que ce trouvait le marché
en cette fin de XIXe siècle (en vert sur le plan).

Le plan des nouvelles halles, construites à l'emplacement des parcelles 247, 248 et 249
marquées sur le plan précédent, et indiquant les bâtiments appartenant à Louis Benoist.

Les travaux purent alors commencer. Cette même année 1895, la maison achetée à Benoist fut démolie (certains murs jugés sains furent malgré tout conservés) et le nouveau bâtiment fut construit à sa place. En janvier 1901, une petite bâtisse attenante jugée inutile fut également démolie afin d'agrandir la cour. 

Ce marché acquit rapidement une certaine renommée et attira de plus en plus de monde. Certains marchands se placèrent à l’extérieur et leurs étals gênaient la circulation, d’autant que leurs charrettes étaient garées n’importe où. En conséquence, en août 1909, le maire décida de faire installer des bancs à leur usage et publia un décret pour le positionnement des véhicules sur les places environnantes. 

Mais beaucoup ne respectaient pas ces règles et, l'année suivante, le maire Arthur Birard fut obligé de publier un nouvel arrêté : « Il est formellement interdit aux forains transportant des denrées ou des volailles de garer leurs charrettes sous les halles les jours de marché… »  Et pour éviter une concurrence déloyale il ajoute : « Aucun marchand ne pourra faire de tournées dans le bourg ou les villages de la commune pendant la durée du marché, c'est-à-dire jusqu’à midi environ. Chaque voiture devra être installée ou remisée dans la cour des halles… ». Et puis il fixe les tarifs d’emplacements : « Location annuelle pour les bancs de boucherie : 8 francs. Pour les autres bancs : 6 francs. »

La Guerre de 1914-18 vida les caisses de la commune. La municipalité se résigna à augmenter les tarifs d’emplacement : « Pour les bancs de boucherie : 20 francs, pour les autres 16 francs. »

En décembre 1926, on installa un rideau en fer pour assurer la protection des étals. On en profita pour augmenter à nouveau les tarifs : « 100 francs à l’année par banc à l’intérieur, et un franc par marché à l’extérieur. »  

Durant la Guerre de 1939-45, on observa une baisse dans l’activité du marché, qui retrouva toutefois sa popularité Après-Guerre. Le maire Albert Rouby ajusta une dernière fois les tarifs en mars 1955. Puis peu à peu, avec l’essor de la voiture, le marché s’étiola pour disparaitre à la fin des années 50.

Line Racaud (1925-1989) se souvient : « Il y avait un beau marché tous les vendredis. Les femmes y vendaient leurs légumes, fromages et volailles. Ils s'y trouvaient également des marchands de ferblanterie et des poissonniers. Le boucher du village y avait une place à l’année, mais aussi un autre venu de Frontenay avec une remorque attachée à son vélo. Pendant la guerre il y avait aussi un petit marchand qui venait de La Rochénard avec sa carriole tirée par un chien, pour y vendre du poisson, des huitres et des moules. Puis ensuite, il faisait le tour des villages. Tout le monde l’appelait « le petit marchand de La Rochelle ». Rien n’était réfrigéré, mais tout le monde achetait. Pour les autres ingrédients, on s’approvisionnait dans les nombreuses épiceries du village. Il y en avait même au Puyroux et à Treillebois. Au Grand-Bois, il y avait une épicerie dans la maison de Marie Godard, rue de la Place. Certains jours, elle faisait une tournée avec son cheval. Certains se souviennent de son petit-fils avec qui ils jouaient étant jeunes. Il était devenu médecin et il est parti aux colonies. Elle a fermé à la guerre de 14… »

À la fin des années 1970, la salle paroissiale située près de l’église était devenue trop vétuste. En novembre 1982, on lança un appel d’offre pour transformer l’ancien bâtiment des halles en salle de spectacles. On y installa une estrade et de nombreuses pièces de théâtre s’y produisirent. Mais sa petite dimension en limitait l’utilisation. 

En novembre 1986, on décida d’agrandir la place en achetant l’ancienne ferme Renaudet qui se trouvait juste à côté, pour un montant de 190,000 francs. La maison d’habitation fut démolie, et on ne conserva qu'un hangar pour en faire un préau couvert et pour entreposer du matériel.

Mais que faire des anciennes halles ? Vers 2010, on décida de les rénover pour y installer un restaurant, le Rabelais, et un multiservices (épicerie, dépôt de pain, bar, etc…). 




Le Rabelais opéra pendant plusieurs années, mais dû fermer pour cause de clientèle insuffisante.





Documents annexes

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Achat de la maison Benoist


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Acte de vente par Benoist



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Indemnité Persuy



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Devis de l’entrepreneur Louis Chagnaud





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Note

[1] À la foire d'empoigne : foires et marchés en Aunis et Saintonge au Moyen-Âge, Judicaël Petrowiste, Université de Toulouse-Le Mirail, 2004, pages 95 et 241. Citations en rapport avec Raoul d'Exoudun, seigneur du château de Chizé, vassal des comtes du Poitou et tenant du pouvoir temporel sur La Foye à cette époque.

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