Les maîtres d'œuvre du prieuré




Les bénédictins de Poitiers n'attendirent pas que l'abbaye et le monastère aient été bâtis avant d'entreprendre la construction du prieuré de la Foye. Dès 1079, l'un des tous premiers abbés de Montierneuf détaché de Cluny, Guy de Renel, enverra plusieurs moines sous la conduite de Pierre Crispeau (Petrus Crispelli), afin de superviser les travaux.

Deux autres moines, Aimardus et Guillermus, lui succéderont dans cette tâche. Dés 1130-1132 la dépendance est qualifiée de « prieuré ».

Pour défricher la forêt et peupler le village, on offrira la liberté ainsi que des terres aux nombreux serfs qui peuplaient les grandes exploitations agricoles des alentours appelées villas (héritières des villae romaines), tels que Dœuil (Villa Daoli), Prissé (Villa Priscanum), Beauvoir (Bello Visu), Usseau (La Marzelle) et Marigny (Vicaria Moniacus), … C’est ainsi que le village se développera peu à peu. Le Censif de Chizé, daté de 1216, fait déjà état de quelques 500 habitants.

S'inspirant pour son organisation des antiques villas, le prieuré sera ceint d'une clôture pour le protéger des pillards. Le mur de pierre d'origine sera progressivement transformé en muraille fortifiée et complété d'ouvrages défensifs, selon les besoins, au fur et à mesure des conflits. 

Le prieuré sera construit juste au nord de l’église, avec plusieurs bâtiments pour stocker les récoltes. L'ensemble inclura un puits, un four banal et un pressoir pour les vendanges. En dépit des guerres, ce siècle verra l'essor en France de la viticulture : les premières vignes seront plantées par les moines au lieu-dit « la Plante aux Moines », situé à l'ouest du village. Au nord, on construira également un moulin à vent, connu plus tard sous le nom de « l'Ancien », et toujours en activité au XIXe siècle.

Les vestiges du prieuré permettent de deviner les contours de l'enceinte
du XVIe/XVIIIe siècle, construite à l'origine avec une église fortifiée pour assise au sud.
Estimation du plan médiéval de l'ancien prieuré (extension maximale) avec ses remparts.
Quelques affaissements de terrain à l’ouest et à l’est font penser à des douves.
Les bâtiments du logis des moines furent reconstruits en 1870.
À l'ouest, l'un des vestiges des remparts du prieuré encore visible aujourd'hui.
Les murs utilisent les mêmes matériaux que les maisons du village.

À côté de l'église, un cimetière nommé « le Paradis » sera réservé aux ecclésiastiques. Les villageois, pour leur part, seront enterrés séparément.

De nombreux prieurs s’y succéderont durant plus de 600 ans (soit plus de 18 générations), assistés de deux à quatre moines selon les périodes, ainsi que de quelques convers ou laïcs. Les derniers bénédictins ne quitteront définitivement le prieuré qu'au XVIIIe siècle.

Techniques de construction

Il est possible que le prieur Crispeau ait fait venir de Montierneuf ou de Cluny un moine bâtisseur, ou qu'il ait engagé un maître d’œuvre itinérant (architecte-maçon). Le style de l’église de La Foye ressemble en tout cas d’avantage aux petites églises d’Aunis ou de Saintonge qu’à celles des environs de Poitiers.

Pour loger l’architecte, la main d’œuvre, les bœufs, chevaux et charriots pour le transport, on construisait d'abord des bâtiments en bois et torchis, la belle pierre étant réservée pour l’édifice religieux. On organisait aussi la distribution de l’eau à partir des cours d'eau les plus proches (situés à deux ou trois kilomètres du chantier). Par la suite, les ouvriers profiteront de la logistique en place et des techniques acquises pour construire de vraies maisons en pierre, afin de loger familles et animaux. On creusera également des puits.

Les ouvriers étaient des paysans locaux, payés en « crédit pour l’au-delà » et en nature : du pain et du vin de qualité médiocre (fourni dans des « barricots » de trois à cinq litres, bus dans la journée). Pour les plus méritants, des ceps de vigne et même parfois, en prime, un carré de terre pour les planter.

De nouveaux chemins furent creusés afin de relier le chantier aux carrières locales qui fourniront les pierres. On abattit aussi des arbres pour les échafaudages et les structures de supports, ainsi que pour les charpentes.

L’élévation de l’édifice religieux pouvait alors commencer. Ce que nous appelons aujourd’hui une petite église de village prenait entre 3 et 10 ans pour sortir de terre. Un plus gros bâtiment pouvait prendre 20 ans.

Avant la construction, les repérages au sol étaient faits à l’aide de pieux et de cordes. En l’absence de techniques de plan, le bâtisseur matérialisait au sol, avec des pierres, le dessin des contours du futur bâtiment. Ignorant le système métrique, les mesures étaient faites à l’aide de bâtons calibrés qui servaient pendant toute la durée de la construction.

Au printemps, la construction à proprement parler pouvait enfin commencer. Le sol était béni par un dignitaire ecclésiastique et sa venue était l’occasion de fêtes, auxquelles prenaient part tous les hameaux environnants.


Au fur et à mesure des besoins, on montait des échafaudages avec escalier, grue à roue (cage à écureuil) et potence, assemblés avec des systèmes de poulies permettant de hisser les pierres. Les échafaudages étaient composés de grosses poutres horizontales appelées boulins, provisoirement inclus dans la maçonnerie. Elles supportaient les platelages (planchers) sur lesquels circulaient les ouvriers. Quand l’échafaudage était démonté, les trous de boulins restaient visibles. On peut encore les observer sur les murs des maisons, mais on les bouchait sur les églises.

Les murs étaient solidifiés avec un mortier préparé par le chaufournier, composé de sable et de chaux (poudre de pierre calcaire, chauffée à très haute température dans des fours à soufflets, construits sur place). Rien que pour réaliser ce ciment il fallait de six à huit ouvriers par four, et il y en avait au moins trois sur place. Ce mortier était utilisé par le maçon. Le chantier évoluait au gré des aléas climatiques, des mouvements des populations, des travaux des champs et des problématiques de construction résolues au jour le jour.

La construction de l’église commençait généralement par le chevet pour se terminer par la façade. L’hiver, le chantier s’interrompait. On recouvrait les bâtis avec du fumier et de la paille. La chaleur produite par sa macération favorisait le séchage et le durcissement des joints. Les ouvriers vivaient au ralenti et dépendaient des religieux, qui s'efforçaient de retenir cette main d'œuvre jusqu’au retour du printemps. Ces « bras » étaient sollicités pendant plusieurs années, autant pour extraire les pierres des carrières que pour construire l’édifice. 

Les marques des tailleurs de pierre

Autrefois, les tailleurs de pierre étaient payés à la tâche. Pour chaque pierre terminée, ils gravaient sur l'un des cotés un signe permettant de les identifier. À la fin de la journée, le contremaitre comptait les pierres de chacun et procédait au paiement. Ensuite elles étaient assemblées par les maçons pour former les murs. On peut encore apercevoir certains de ces signes sur les pierres constituant les murs les plus anciens de l'église :












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