Fondation de La Foye-Monjault


Jusqu'au XIe siècle, la commune était entièrement recouverte d'arbres.
Ceux-ci étaient malingres, peu développés, favorisant le développement
de broussailles et rendant le franchissement difficile. Il ne subsiste aujourd’hui
que quelques parties de la forêt originelle, telles que le bois de La Foye,
la forêt de Chizé ou celle de Benon.

Le village de La Foye-Monjault est une création du pouvoir seigneurial et ecclésiastique de la fin du XIe siècle. Avant cela, il n’y avait à cet emplacement qu'un massif boisé faisant partie intégrale de la forêt d’Argenson.

Le XIe siècle est marqué par de nombreuses guerres féodales. Les petits seigneurs locaux, représentants du roi, exercent alors le pouvoir sur les territoires qu'ils ont à charge de surveiller et de défendre. Mais avec leurs vassaux, ils sont aussi des rivaux qui guerroient constamment entre eux.

C'est à cette époque qu'apparaissent dans la région des buttes fortifiées, prototypes des premiers châteaux fort. La trace de l'une de ces « mottes » subsiste encore au nord de la commune. [1]


Guillaume d'Aquitaine


L'un de ces seigneurs, Guillaume VIII d'Aquitaine, comte de Poitiers, va jouer un rôle déterminant dans les évènements qui conduiront à la fondation de la paroisse. Dès sa prise de pouvoir vers 1058, il est en guerre avec ses rivaux. En 1060, le comte de Toulouse tente de lui prendre Bordeaux. Deux ans plus tard, Guillaume s'empare quant à lui de la ville de Saintes. Il se rend maître de la Saintonge, ce qui lui permet de relier entre elles Bordeaux et Poitiers, ses deux capitales.

L'année suivante, répondant à l'appel du pape Alexandre II, il rallie les troupes italiennes et commande la croisade de Barbastro en Espagne (un épisode de la Reconquista), au cours de laquelle il défait les musulmans et libère la ville.

Deux illustrations de la bataille de Barbastro en 1064.

En 1069 Guillaume demande au pape Grégoire VII, successeur d'Alexandre, d'autoriser son mariage avec sa cousine au quatrième degré, Hildegarde de Bourgogne. Dans un premier temps, le nouveau pape refuse et exige leur séparation. Si la naissance de leur fils, le futur Guillaume IX, est bien accueillie par la cour d'Aquitaine, l'enfant reste illégitime aux yeux de l'Église. Pour y remédier, Guillaume entreprend un pèlerinage à Rome et obtient une dispense du pape. En échange de cette grâce, il accepte de construire à Poitiers une abbaye dédiée à Saint Jean l'Évangéliste. L’abbaye, qui selon ses vœux doit accueillir cent moines, prendra le nom de Saint-Jean de Montierneuf. [2]


Guillaume VIII, né Guy-Geoffroi, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine
Gisant de Guillaume VIII [3]Guillaume décèdera en 1086 au château de Chizé.
Son fils Guillaume IX sera le grand-père d’Aliénor d’Aquitaine.
La sculpture date du XIXe siècle, l'original ayant été détruit par les Huguenot.
L'abbaye de Montierneuf recevra les tombeaux des ducs d'Aquitaine.
L'emploi généralisé de la pierre de taille donne une indication de la fortune
de Guillaume VIII, qui fera par ailleurs don à l'abbaye de nombreux domaines,
dont celui du Cormenier en 1077 (offert en complément de celui de La Foye),
mais aussi ceux de Saintes, Loulay et Saint-Aignan en Charente Maritime.
L'abbaye recevra par la suite l'église de Marigny du pape Adrien IV, en 1157.

À sa fondation, Montierneuf est placée sous l’autorité des bénédictins de Cluny. Pour assurer son existence, un certain nombre de biens fonciers lui sont rattachés, domaines sur lesquels les moines feront aussitôt construire des prieurés. Jouissant dès lors d'une rapide prospérité, l'abbaye recevra un abbé et dix-huit moines (à défaut de cent). Plus de mille abbayes et prieurés seront ainsi fondés par l’ordre clunisien au Moyen-Âge, dont certains en Angleterre et en Allemagne.

Réunion du chapitre général dans un monastère clunisien (XVe siècle).
« Créée au début du Xe siècle, l'abbaye de Cluny va opérer une réforme en profondeur
de l'Église et de la société féodale, grâce à son privilège de ne plus dépendre
du seigneur ou de l'évêque du lieu mais seulement du pape qui siège à Rome.
Après l'An Mil, l'ordre comptera près de 1450 monastères et prieurés,
rassemblant dix mille moines. » [Moines et abbayes - Le cœur battant
de la société médiévale
, Herodote.net]

Enluminure. Scène montrant la fondation d'une abbaye vers 1100.

Dans une charte du 28 janvier 1077, Guillaume offre au monastère certaines de ses possessions en Saintonge, dont la « revestiture » (zone à défricher) qui deviendra La Foye. Le mot Foye vient du mot faia, dérivé du latin fagus, le hêtre, qui devait autrefois couvrir l'essentiel de la paroisse. Par la suite, le village portera le nom de Faia Monachalis, la « hêtraie des moines », qui se transformera au fil du temps en « Foye-Monjault » [4].

Montierneuf et Chizé, pouvoirs spirituels et temporels

Jusqu'à la fin de la Renaissance, tout sujet du royaume de France était régi par un double pouvoir : le pouvoir spirituel administré par les représentants de la papauté (l'église et les ordres religieux), et le pouvoir temporel incarné par la royauté et ses vassaux.

Lorsqu'en 1077 Guillaume « fait don » aux bénédictins de la revestiture de La Foye, il autorise les moines à la défricher afin d'y faire construire un village et des bâtiments religieux. La Foye devient une paroisse qu'ils auront à charge d'exploiter. Dans le même temps, cette partie du domaine royal est attribuée à un seigneur vassal des comtes du Poitou. Vers 1189, Richard Cœur de Lion confirmera leur donation aux Lusignan et à leurs successeurs, établis au château de Chizé.

Initialement, le moine délégué à la supervision du petit prieuré de La Foye-Monjault, le prieur, opère sous l'autorité de l'abbé de Montierneuf. Chaque année, il doit organiser la collecte de la dîme, une taxe représentant le dixième de la production des villageois. Il perçoit aussi les banalités associées à l'usage du four et du moulin. Le seigneur de Chizé, pour sa part, peut prélever le cens, un impôt qui au Moyen-Âge pouvait représenter jusqu'à un tiers des récoltes [7]. Une partie des habitants de la paroisse, appelés « hommes du prieur », lui sont également redevables du service militaire (service d'ost) et s'exercent à cette fin deux fois par an.

Le prieur se doit par ailleurs de recevoir à sa table le seigneur de Chizé, lorsque ce dernier se rend au bourg. Il exerce le droit de « basse justice », à savoir l'arbitrage des vols et des divers conflits entre paroissiens, là où celui de haute justice concerne des crimes plus graves comme le meurtre. Celui de haute justice concerne des crimes plus graves, comme le meurtre, et reste la prérogative du seigneur. Au quotidien, le prieur et le seigneur de Chizé sont cependant représentés par un prévôt qui administre la justice en leur nom.

Suivant le déclin de la seigneurie aux mains des Lusignan et des Brienne (le dernier ayant été décapité pour trahison), l'exercice du pouvoir royal passera par la suite aux mains du sénéchal [8] du Poitou.

Le rôle du prieur évoluera en importance avec le temps, entrainant une diminution croissante de l'autorité de Montierneuf. Dès le XVIe siècle, le prieur est devenu abbé commendataire, dignitaire souvent absent, cumulant les droits seigneuriaux et ecclésiastiques. La collecte de la dîme se voit déléguée à un fermier seigneurial. Le cens, tombé en désuétude, est remplacé par l'impôt de la taille versé à l'administration royale avec l'appui paroissial du syndic.

Prieuré, église et village : une entreprise commune

Pourquoi bâtir un prieuré, ainsi qu'une église et un village, sur des terres aussi inhospitalières au premier abord ? La paroisse n'est en effet traversée par aucun cours d'eau, rendant difficile l'approvisionnement en eau potable. Quant au sol, même défriché, il est pauvre et se prête mal aux labours.

Enluminure. Défrichage des terres au Moyen-Âge.

Qu'à cela ne tienne ! Les travaux iront de l'avant, à commencer par l'église et le prieuré. Ces bâtiments ne sont pas juste un lieu de prière et d'habitation pour les moines. À cette époque de ferveur religieuse, ils présentent aussi un attrait pour les colons. Ces derniers viendront se sédentariser autour de ce nouvel axe spirituel, profitant par ailleurs des terres offertes par les bénédictins lors du défrichement (ces terrains étaient « confiés » aux paysans et non pas donnés en pleine propriété. Ceux-ci avaient le droit d'y construire une maison pour y loger leur famille et leurs animaux, mais ils n'avaient pas la liberté de semer ou planter ce qu'ils voulaient, ni de défricher sans autorisation. La culture de la vigne se faisait selon le principe du bail à complant). Dans le contexte du servage de la société féodale, cette entreprise leur donne l'opportunité d'une progression sociale.

Enluminure. Paiement des taxes dues au seigneur.

Mais pour l'abbé de Montierneuf, le domaine de La Foye est avant tout une source de revenus financiers. Le monastère doit pouvoir vivre de ses rentes. Dans cette optique, la fixation d'une population paysanne l'autorise à lever des impôts. Quant à la bénédiction du mariage de Guillaume par le pape, donnée en échange de la création de l'abbaye, il va de soit qu'elle n'était pas désintéressée : ces revenus profiteront non seulement à Montierneuf, mais aussi à Cluny et au Vatican qui en toucheront une partie [5].

La construction du prieuré, de l’église et du village va donc de pair, les intérêts de la noblesse, du clergé et du peuple étant ici liés dans une entreprise commune.


Le choix du lieu

Il n'existe, à notre connaissance, aucune coutume païenne préexistante ayant pu influencer le choix de l'emplacement de l'église, contrairement au culte gaulois observé par la paroisse voisine d'Usseau [6]

En revanche, une source souterraine alimentait autrefois une petite mare située en contrebas de l'église. Elle est aujourd'hui à sec, mais les paysans y amenaient encore leur bétail jusque dans les années 80. Et malgré l'absence de cour d'eau sur la commune et la sécheresse des sols, l'intérieur de l'église et de la sacristie a toujours souffert d'une forte humidité, le dallage étant en partie recouvert d'une fine mousse verte. Il est donc possible qu'au Moyen-Âge, et même longtemps avant cela, les habitants de la région aient eu connaissance d'une source au cœur de la forêt, et que celle-ci ait revêtu un caractère sacré.

Selon toute vraisemblance, il dut aussi se trouver là une petite clairière, située près du centre du domaine, qui servit de point de départ à la construction des premiers bâtiments.


Le terrain offrait par ailleurs quelques avantages matériels : le sol pierreux et sec simplifiait grandement le besoin de fondations coûteuses, et il y avait à proximité toute la pierre nécessaire à la construction de l’édifice (limitant les frais de transport), de même que pour le bois et la main d’œuvre.  

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Notes

[1] Voir à ce sujet : La motte féodale de La Foye   [<-]

[2] Montierneuf, de « moustier », terme dérivé du latin monasterium : monastère. Nom donné par les habitants du lieu et qui signifie « monastère neuf. » Les travaux commenceront vers 1070, peu après la fondation, et seront achevés en 1096. Le chapitre Saint-Nicolas de Poitiers, fondé par la comtesse Agnès vers 1050, lui est ainsi rattaché entre 1083 et 1086. La phase active des travaux s'achève avec la mort de Guillaume en 1086. Autorisée par le pape Grégoire VII en 1076, l'abbaye sera consacrée par le pape Urbain II en 1096, lorsqu'il vint prêcher la croisade en Poitou. Construite en dehors de la muraille romaine, à proximité du Poitiers médiéval, l'abbaye ne se fortifiera qu'au XVe siècle, et un bourg naitra ainsi, à l'intérieur de la muraille d'Aliénor d'Aquitaine, construite au XIIe siècle.    [<-]

[3] Cénotaphe de Guy-Geoffroy : Le tombeau du comte sera en partie détruit en 1643 par l'effondrement des voûtes de la nef, reconstruit en 1657, puis à nouveau détruit à la Révolution en 1793. En 1822, lors de travaux, on découvrira dans le sol de la nef les restes de ce tombeau et on réalisera à la place un cénotaphe (gisant sans corps à l’intérieur). On peut toujours l’admirer de nos jours. Il sera construit par l'abbé Sabourin, qui obtint pour cela des fonds de Louis XVIII. Il prit modèle sur un gisant du XVIIe siècle, ce qui explique la tenue anachronique du modèle. La statue, œuvre d'un certain Benoist, fut très critiquée dès l'époque. Ce dernier s'en défendit en précisant qu'il n'avait fait que copier à l'identique une sculpture déjà médiocre du XVIIe siècle. En effet la tombe médiévale se trouvait, de façon inhabituelle (mais très significative en ce qui concerne les ambitions de son commanditaire), au centre de la nef. Lors de la reconstruction du monument, il sera déplacé dans le bas-côté sud, mais le corps, lui, ne sera pas déplacé. Guillaume se trouve donc toujours enterré au centre de l'église.    [<-]

[4] Voir à ce sujet : Origine et histoire du nom de la Foye-Monjault   [<-]

[5] Cluny était l'un des vecteurs majeurs du financement du Vatican, en ce qui concerne la France, et cela jusqu'à la Révolution. Une part non négligeable des revenus du réseau de prieurés clunisiens partait directement en Italie.   [<-]

[6] La fondation de la commune voisine d'Usseau, au sud-est, est apparemment antérieure de 1000 ans à celle de La Foye-Monjault. Située sur l'ancienne voie romaine allant de Saintes à Anger, il exista peut-être là, le long de cette route, un petit village gallo-romain. Des fouilles près de l'église Saint-Pierre ont mises à jour des sarcophages datant du VIIIe siècle, taillés à partir de blocs de pierre datés de l’époque romaine.   [<-]

[7] Un recensement des habitants devant s'acquitter du cens, effectué vers 1216, est connu sous le nom de « Censif de Chizé ». D'autres impôts seront créés par la suite, comme la taille, impôt royal qui s'imposera durant la guerre de Cent Ans afin de financer les armées, ou encore la gabelle (taxe sur le sel), qui viendront s'ajouter aux précédents.   [<-]

[8] Du XIIe au XIVe siècle, le sénéchal était un fonctionnaire chargé de l'administration d'une province. Il sera remplacé à partir de 1630 par un intendant.   [<-]

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À lire en relation avec cet article :

Les maîtres d'œuvre du prieuré


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