L'affaire Gastineau : une bavure policière sous Bonaparte


Gendarme de métropole, début du XIXe siècle.

Récemment, une étudiante en Histoire nous transmettait un document qu'elle avait trouvé aux archives de Niort. Celui-ci nous fait part d'un incident survenu en 1805 à La Foye-Monjault. C'est une plainte adressé par André Vien, alors maire de la commune, au préfet Dupin. On y lit le témoignage indigné de plusieurs villageois présents au moment des faits. Tous mettent en cause le gendarme Bernier [1]

L'affaire aurait pû être anodine : quelqu'un crie au voleur, les gendarmes accourent, capturent et emmènent le coupable. Mais lors de l'arrestation, le dénommé Bernier fait preuve d'une violence grossière à l'encontre du jeune homme, soupçonné de larcin. À un tel point que les villageois en sont scandalisés. À la lecture du texte, on découvre chez eux une sensibilité qui siérait plus volontiers à notre époque qu'à celle, supposée si frustre, du Premier Empire. 

L'alerte donnée, les villageois se mobilisent rapidement. Mais ils semblent peu concernés par une infraction qui, d'ailleurs, n'est pas avérée (Pierre Gastineau fuit la police parce qu'il a déserté. Rien n'indique qu'il ait volé quoi que ce soit). On les sent même animés d'une certaine compassion envers le larron, jugé à l'évidence peu dangereux. Beaucoup sont choqués par les effusions de sang qui s'ensuivent et préfèrent quitter la scène. Le crime que le jeune homme est supposé avoir commis, dont il n'est pas fait mention ici, leur parait clairement moins grave que sa répression. [2] 

Ça n'est pas la seule occasion où les Fayais, sous l'impulsion de Vien, s'insurgèrent contre les abus d'un représentant de l'ordre. Moins d'un an plus tôt, en septembre 1804, le conseil municipal avait démis de ses fonctions le garde champêtre. Les manières brutales de l'agent avaient ravivé la méfiance de la population envers les représentants de l'ordre. Elles avaient dû leur rappeler les brimades déjà subies sous l'Ancien Régime [3]. Or la Révolution est encore fraiche dans les esprits, tant pour les citoyens ordinaires que pour leurs nouveaux maitres. La colère du peuple est toujours à craindre. Ici, Gastineau est un jeune domestique employé non loin au moulin d'Ussolière. Presque tous le connaissent. Il est un peu l'un des leurs.

Le maire dut en être conscient, ne souhaitant en aucun cas être associé à l'action abusive des gendarmes. Le ton outré qu'il emploie reflète ce qu'il perçoit par ailleurs comme un affront personnel. D'un caractère bien trempé et ayant une haute idée des valeurs morales qu'il incarne, Vien prend son rôle très au sérieux. Il est à l'image des modèles de son temps, des hérauts de la Révolution à Bonaparte et ses maréchaux, en passant par Bory, curé janséniste qui fut son père adoptif. Comme nombre de ses contemporains, il se sent investi d'une mission. Fervent républicain dans un premier temps – il a rédigé le Cahier de doléances de la paroisse – il devient partisan enthousiaste de Bonaparte à qui, par l'intermédiaire du préfet, il doit son poste. Il n'est pas non plus n'importe qui : maire et notaire, il a déjà été tour à tour procureur, huissier, président de l'assemblée municipale, commissaire du Tribunal criminel et du Directoire, ainsi que juge de paix. C'est lui qui chaque année organise solennellement les tirages au sort des conscrits et s'assure de leur départ vers leur régiment. Il préside également aux cérémonies d'assermentation des gardes nationaux sur la place de l'église. En somme, Vien se voit en officier de l'Empire plutôt que comme un simple fonctionnaire [4]. Et La Foye est son fief. 

Aussi, lorsque les gendarmes de la commune voisine décident d'intervenir « sans le consulter », il s'estime touché dans son orgueil [5]. Sur ce point précis, sa colère est infondée. Les gendarmes ont d'abord conduit Gastineau chez l'huissier de justice du bourg, d'où il s'est évadé. S'ensuivit une course-poursuite qui les conduisit directement chez Guilbot. Or dans le feu de l'action, nul n'a eu le temps de venir l'en informer. Pas plus les gendarmes que les villageois... Mais qu'importe, la bavure de Bernier lui permet de réaffirmer son autorité territoriale sur la gendarmerie de Mauzé [6]. Soucieux avec cela de représenter les citoyens de sa commune, Vien insistera d'autant plus sur leur indignation.

Cette plainte du maire sera à la source de la circulaire du préfet datée du 18 fructidor (5 septembre) de la même année, concernant la poursuite et la recherche des déserteurs. Vien écrit un mois plus tard à ce sujet : « Considérant qu'il est de notre devoir de veiller à ce qu'aucun lâche, qui a déserté les drapeaux de la patrie, ne trouve un coupable asile dans notre commune, et d'éclairer nos concitoyens sur les dangers qu'ils courent en recevant chez eux, soit comme domestiques soit tout autrement, des déserteurs qu'ils peuvent même ne pas connaitre tels, nous maire de la commune de La Foye-Monjault, avons arrêté ce qui suit : Art. Ier. Chaque habitant de la commune accueillant un domestique sera tenu de le présenter en personne devant nous, porteur de son passeport et d'un extrait de baptême. Art. II. Tout habitant qui ne fera pas cette déclaration dans les délais prescrits sera cité au Tribunal de police correctionnelle comme coupable d'avoir recélé un déserteur, et ce dernier sera dénoncé et remis à la gendarmerie. » 

La conclusion qu'il apporte au procès-verbal est un modèle du genre. Son exposé, d'une grande éloquence, est plein d'une emphase propre à son époque. Issu d'une modeste famille de maçons, il a eu la chance de recevoir une éducation de premier ordre. En lisant ses textes, on mesure l'impact qu'eut sur sa vie le père Bory, professeur réputé de l'Oratoire de Niort, son instructeur dès le plus jeune âge.


Sabre briquet, modèle réglementaire an IX (1804-1805)


Témoignages

En guise d'introduction, Vien informe Dupin qu'au village « l'indignation générale était à son comble de par la conduite du sieur Bernier, gendarme à la résidence de Mauzé, arrêtant en le chai du sieur Guilbot, Pierre Gastineau, déserteur du 3e bataillon colonial, sur lequel il s'était livré à des excès que l'humanité réprouve autant que la loi, lui ayant percé les jambes de douze coups de sabre. Jaloux et regardant de notre droit de connaitre la véracité des faits, n'ayant aucunement été prévenu par la gendarmerie de cette arrestation dans son principe, et seulement lorsqu'elle a été consommée, sans en connaitre les détails... » 


Il donne ensuite la déposition des témoins :

Jean Marcon, 52 ans, journalier

Ce dimanche 23 nivôse de l'an XIII (le 13 janvier 1805), Marcon assistait à la messe lorsqu'il entendit crier au midi : « Au voleur ! Au voleur ! » Aussitôt, il sortit de l'église avec au moins cinquante personnes, qui coururent ensemble à l'endroit d'où la voix venait. Étant tous arrivés à la maison de François Guilbot où l'on criait toujours : « Au voleur ! », ils virent venir trois gendarmes qui courraient à travers champs. Quelqu'un leur ayant dit : « Il est là ! », montrant le chai dudit Guilbot, ils accoururent, le sabre à nu. Marcon les accompagna avec tous ceux qui étaient venus. Quelqu'un leur ayant dit que le voleur se trouvait dans l'une des cuves ou bien derrière, le gendarme Bernier, jetant à terre son chapeau, sauta dans l'une des cuves et, n'y trouvant point Gastineau, plongea son sabre entre la cuve et le mur. Alors le sieur Rondeau-fils, présent, lui demanda : « Est-ce ainsi qu'on assassine le monde ? Cherchez une lumière ! » Bernier sorti de la cuve et demanda une chandelle audit Guilbot, qui alla la quérir. Dans le même temps, Bernier demanda à la foule de sortir du chai, ce qu'elle fit, à l'exception de Marcon et d'une douzaine de personnes qui y demeurèrent. Et alors que Bernier se tenait à la porte, on entendit la voix de Gastineau crier : « Hé, mon Dieu ! Me tuerez-vous bien ici ! » Marcon vit alors Gastineau sortir du chai, tenu par un gendarme, les jambes toutes en sang. Se tenant derrière lui, Bernier lui donna deux ou trois coups de plat de sabre sur les épaules, et il remarqua que son sabre était tout ensanglanté. À peu de distance et devant chez Mr Rondeau, Gastineau, par le sang qu'il perdait, tomba à terre et fut relevé par les gendarmes. Après lui avoir dit qu'il ferait mieux de marcher, Bernier lui donna deux ou trois coups de poing sur la tête et les épaules. Indigné d'un pareil traitement, Marcon quitta la foule et rentra chez lui.


Louis Brottier, dit Charon, 46 ans, métayer

En suivant Marcon à la sortie de l'église, Brottier s'empara d'un bâton. Parmi les gendarmes, il reconnut le sieur Collet, de Beauvoir, avec deux autres collègues qui accouraient avec beaucoup de monde. Ayant entendu crier « Il est chez Guilbot ! », il s'y rendit mais resta dehors. Il vit ledit Guilbot sortir pour aller chercher une chandelle, mais peu après un gendarme sorti à son tour du chai en tenant par un mouchoir un jeune garçon par le col, qu'on nommait Gastineau, qui avait les jambes en sang. Ce dernier leur dit : « Hé, tuez-moi plutôt que de me faire tant souffrir ! » Ce à quoi le sieur Bernier, gendarme de Mauzé, lui répliqua : « Ha, je te ferais bien marcher ! ». Et il lui donna trois fort coups de sabre sur les épaules, Brottier observant que son sabre était ensanglanté sur environ six pouces. Il entendit le sieur Collet dire que « Je ne voudrais pas pour dix écus qu'il m'en fut arrivé autant pour avoir fait pareille chose... ». Étant révolté par cette action et peiné de voir Gastineau tout en sang, Brottier se retira de suite.


Pierre Guilbot, 30 ans, cultivateur

Se trouvant à la porte de l'église, il entendit quelqu'un crier au voleur et lui dire que ce voleur était chez lui. Il y couru. Il y trouva l'entrée du chai obstruée par la foule et gardée par le gendarme Bernier. Après s'être fait connaitre comme le fils de la maison, il y entra et s'assis sur une barrique. Bernier demanda à son père une chandelle et, alors qu'on était allé la quérir, on lui apprit que le voleur se cachait dans l'une des cuves ou bien derrière. Le gendarme franchit l'une des cuves et plongea son sabre nu tout autour. Et après qu'on lui ai fait l'observation qu'on assassine pas ainsi le monde, Bernier descendit et plongea son sabre sous les cuves. Gastineau, percé de plusieurs coups, se releva et cria : « Ah mon Dieu ! Tuez-moi donc sans me faire souffrir ainsi ! » Bernier, après avoir encore donné deux ou trois coups de sabre, se releva et saisit Gastineau par la cravate, le faisant paraitre entre deux cuves. Il le tira avec une telle force qu'un bout de la cravate lui resta entre les mains. À ce moment, le sieur Langinoux, l'un des gendarmes, frappa doucement le sieur Bernier de son sabre, en lui disant de se taire et de cesser. Gastineau étant enfin sorti d'entre les cuves, les jambes en sang et faisant frémir, et ledit Bernier avec ses mains et son ceinturon ensanglantés, il rentra chez lui pour ne pas les voir.


Jeanne Grousset, 23 ans, servante du sieur Rondeau, propriétaire

Sortant du boulanger et se rendant chez le sieur Guilbot et sa femme, ses voisins, elle vit entrer dans le chai un jeune homme qu'elle reconnut comme le domestique de Jean Daubé, meunier d'Ussolière. À ce moment elle entendit crier au voleur, et tout le monde, sortant de la messe, accouru à travers champs accompagnés de trois gendarmes. La maison de Guilbot est la première au levant et borde la campagne. La foule ne sachant qui avait crié au voleur ni où il était passé, la Cne Grousset alla dire à Guilbot qu'il était entré dans son chai. Guilbot cria alors aux gendarmes qu'il était là et tous entrèrent dans son chai, mais qu'elle, ayant du pain sous les bras, rentra chez son maitre. Mais peu de temps après, entendant du bruit dans la rue, se mit à la fenêtre de la cuisine. Elle vit arriver Gastineau, qui avait les jambes en sang et peinait à marcher. Il tomba à terre, disant qu'il ne pouvait plus marcher et qu'il faudrait l'emporter dans une charrette ou à force de bras. Bernier, gendarme à Mauzé, lui répliqua qu'il fallait bien qu'il marcha, et il lui donna trois soufflets [gifles], lui mit les menottes et l'emporta sous les bras, aidé d'un autre gendarme. Après que Gastineau soit parti, il y avait plus d'une chopine de sang là où il était tombé, ce qui lui fit horreur et la fit rentrer chez elle, d'où elle ne sorti point.


Louis André Rondeau, fils, 21 ans, domicilié chez son père

Se trouvant lui aussi à la porte de l'église, il entendit quelqu'un crier au voleur et couru jusque chez Guilbot, son voisin. Guilbot lui dit à lui et aux gendarmes Langeniaux et Bernier, de Mauzé, et Collet de Beauvoir, que le voleur se trouvait dans son chai. Ils y entrèrent accompagné de la foule, mais les gendarmes entreprirent de faire ressortir la plupart. Rondeau fit parti de ceux qui restèrent et vit Bernier sauter dans une cuve et plonger entre elle et le mur son sabre nu. Il lui dit alors de ne pas chercher de cette manière, que si le voleur était là, vous le tueriez. Bernier descendit de la cuve et chercha dans divers endroits du chai en attendant que Guilbot, à qui on avait demandé de la lumière, fut arrivé. Ne trouvant point de voleur, Bernier se coucha à terre et plongea son sabre à plusieurs reprises sous la cuve, feignant de ne pas avoir trouvé l'homme et disant qu'il ne savait si c'était du bourrier ou du fumier. Alors, ce malheureux de Gastineau, domestique chez Jean Daubé, meunier d'Ussolière, qui avait déjà reçu six à sept coups dans les jambes, s'écria et dit : « Ah mon Dieu ! Vous me tuez ! » Mais Bernier lui mit encore trois ou quatre coups de sabre. Il eut continué si son collègue ne lui avait pas frappé sur l'épaule avec son sabre et ne l'eut ôté de sa position. Gastineau s'étant levée et étant apparu entre les cuves, Bernier le saisit à la cravate et de l'autre main, lui lança un coup de sabre. Mais on arrêta le coup. Alors Bernier arracha la cravate avec tant de violence qu'elle se déchira. Gastineau étant ensuite sorti du chai, Bernier lui donna deux violents coups de plat de sabre sur les épaules et deux soufflets, et le conduisit dans le bourg. Avant cela, Gastineau étant tombé devant la fenêtre de sa cuisine et disant qu'il ne pouvait plus marcher, Bernier lui mit les menottes et, le relevant, lui mit deux soufflets et son collègue lui en donna un. Il rentra alors chez lui et alla rapporter à un voisin ce qu'il avait vu. 


André Géoffroy, 29 ans, journalier

Se trouvant de même à la porte de l'église pour entendre la messe [7], il entendit dire à côté de lui qu'on criait au voleur. Il se dépêcha avec 50 ou 60 personnes hors du bourg où il trouva trois gendarmes qui couraient à travers champs. Une voix se fit entendre, qui disait : « Il est là ! Il est là ! », en désignant la maison de François Guilbot. Il y courut et entra avec les gendarmes dans le chai dudit Guilbot. Il vit faire la perquisition du prétendu voleur à laquelle il participa, et le gendarme nommé Langinoux, de Mauzé, dit en montrant deux cuves : « Il est là ! Je l'ai trouvé avec la pointe de mon sabre. » Il ne lui avait point fait de mal, mais l'autre gendarme nommé Bernier passa son sabre nu dans l'une des cuves, et ne sentant aucune résistance dit de son côté : « Il n'est pas là. » Il plongea ensuite son sabre autour de la cuve, entre celle-ci et le mur. Puis, étant descendu pendant qu'on allait chercher de la lumière, il se coucha par terre sous la cuve et donna des coups de sabre en disant : « Est-il donc là ? Es-tu là, gueux ? Es-tu là coquin ? » Il entendit alors crier : « Ah mon Dieu ! Ah mon Dieu ! Laissez-moi donc ! », mais continua de plonger son sabre, si bien que Langinoux lui dit de cesser et frappa le dos de Bernier avec son sabre. Alors Gastineau, l'homme que l'on cherchait, se leva et parut entre deux cuves. Bernier s'étant relevé, le saisit à la gorge et aux cheveux en lui disant : « Ah te voilà, gueux ! Scélérat ! » Gastineau se mit à pleurer. En voyant cela et touché par cette scène, Géoffroy fut pris de compassion pour ledit Gastineau dont les jambes dégouttaient de sang. Il se fraya un chemin à travers la foule qui obstruait la porte et faisait grand bruit, et rentra chez lui. Il ne fut témoin d'aucun autre fait mais entendit dire qu'à la sortie du chai, Bernier l'avait encore frappé à grands coups de sabre, et qu'il avait récidivé devant la maison du sieur Rondeau, où Gastineau était tombé, perdant beaucoup de sang.


Louis Baudin, fils, 31 ans, cultivateur

Étant allé durant l'heure de la messe chez le sieur Delavaud, huissier demeurant au bourg, il y trouva deux gendarmes nommés Bernier et Langinioux, qui paraissaient avoir saisi le nommé Gastineau, connu depuis quelques mois comme le domestique de Daubé, meunier à Ussolière. Ayant des affaires avec Me Delavaud et celui-ci étant passé dans son étude, il le suivit avec le citoyen Birard. C'est à ce moment-là que Gastineau échappa aux gendarmes et s'enfuit à travers les jardins et prés. Louis courut alors après lui, accompagné de Me Delavaud, de Birard, et précédés par les gendarmes. Arrivés chez le sieur Guilbot, il vit Gastineau sortir du chai avec les jambes en sang et tenu au collet par le sieur Langinioux. À ce moment-là, Bernier, qui était derrière, donna plusieurs coups de plat-de-sabre très forts à Gastineau, et le poussa ensuite de son poing. Il lui dit : « Marche ! B... Je te ferais bien marcher ! » Arrivé sous la fenêtre de la cuisine du sieur Rondeau, Gastineau, qui perdait beaucoup de sang, tomba. Bernier le releva et lui donna deux ou trois soufflets ou un coup de poing à la tête. Indigné d'un pareil excès, Langinioux lui reprocha sa dureté et son inhumanité, lui expliquant qu'étant trois gendarmes (le sieur Collet, gendarme de Beauvoir se trouvant par hasard à La Foye, les avait rejoint), il ne devait pas craindre que Gastineau s'échappa, étant de plus grièvement blessé aux jambes. Ce quoi Bernier lui répondit brusquement que cela ne le regardait pas et qu'il faisait son devoir. Louis, qui avec la foule de témoins grondait contre pareille atrocité, se tut et suivit les gendarmes de loin. Ceux-ci emmenaient Gastineau chez ledit Birard, cabaretier, où il entra à leur suite. Bernier, qui avait sans doute entendu les murmures que le public avait, avec justice, proféré contre lui, parut se plaindre des habitants de la commune. Mais Langinioux l'invita plusieurs fois à se taire. Sur ce, Louis en ayant assez, il quitta les lieux et rentra chez lui.


Sabre briquet, modèle réglementaire an IX (1804-1805)

Ayant assuré le préfet de la probité des témoins et jugeant qu'il n'est pas nécessaire d'en produire d'autres, les faits étant avérés, le maire poursuit son exposé et conclut : 

« Considérant que la conduite du sieur Bernier nous parait indigne d'un fonctionnaire, à la prudence duquel les autorités supérieures confient le soin de mettre leur jugement ou leur mandat à exécution. 

« Que la brutalité, l'inhumanité et la férocité dont il a déployé tous les caractères, dans et après l'arrestation de Gastineau, étaient bien capables de révolter les spectateurs qui l'avaient de tous leurs moyens secondés dans cette arrestation, et d'exciter leur indignation. 

« Que cependant même le plus grand coupable mérite des égards et un certain respect, par cela seul qu'il est sous le glaive de la loi, et qu'il ne peut être frappé et mutilé que lorsqu'il est en fuite, et non enfermé dans un appartement dont les issus sont gardées aussi sévèrement, comme l'étaient celles du chai où s'était réfugié Gastineau, qui était loin de se révolter contre la gendarmerie chargée de l'arrêter. 

« Considérant que les excès que le sieur Bernier s'est permis contre le sieur Gastineau et sous les yeux de toute la commune, eussent été plutôt capable de soulever les esprits que les engager à lui prêter main forte, si les habitants n'étaient aussi religieux et observateurs des lois.

« Que de pareils excès sont un attentat contre les droits de la société, une vexation illicite, un abus d'autorité et un acte arbitraire, qu'aucun citoyen français et surtout aucun magistrat ne peut connaitre et se taire sans se rendre complice et sans enhardir le coupable. 

« Considérant que si les gendarmes chargés de l'arrestation dudit Gastineau nous eussent prévenus, lorsqu'il se tenait enfermé dans le chai du citoyen Guilbot, nous les eussions aidés de tous nos moyens et de notre autorité pour les seconder dans l'appréhension du coupable sans coup férir et sans tenir une pareille conduite à son égard.

« Considérant enfin que l'humanité aussi violemment et publiquement outragé par ledit sieur Bernier dans la personne dudit Gastineau réclame une vengeance de la part de l'autorité supérieure et répressive, et que tel est le cri de l'indignation publique,

« Nous maire susdit et soussigné, avons arrêté que copie fidèle des présentes serait par nous transmise à Mr le préfet ce de département, pour être par lui pris telles mesures que sa justice, son humanité et son amour du bien public lui pourront suggérer.

« Fait et arrêté... ».


> Accès aux documents originaux


Notes

[1] Aussi orthographié Bernis   [<-]

[2] Gastineau avait déserté une semaine plus tôt. Il était toujours employé au moulin et rien n'indique qu'il ait volé quoi que ce soit. Il venait d'être arrêté par les gendarmes qui l'avaient conduit chez l'huissier, sans doute en tant que déserteur. Les appels au vol sont peut-être venus de paysans qui, le voyant poursuivis par des agents, le prirent pour un voleur.    [<-]

[3] Les habitants se souvenaient encore de la brutalité des huissiers et des collecteurs d'impôts opérant avant la Révolution (moins de vingt ans plus tôt en 1805).   [<-]

[4] Déjà en 1793, la mairie avait fait arrêter des fuyards de l'armée régulière rescapés des combats de Vendée.   [<-]

[5] Émotion qu'il exprime ainsi dans son introduction (notez en particulier l'usage du mot « jaloux », qui signifie furieux) : « Jaloux et regardant de notre droit de connaitre la véracité des faits, n'ayant aucunement été prévenu par la gendarmerie de cette arrestation dans son principe, et seulement lorsqu'elle a été consommée, sans en connaitre les détails... ».   [<-]

[6] Mauzé, village voisin situé à l'ouest de La Foye, était alors le plus gros bourg des environs qui intervenait pour les affaires de police dans toute la région. Il y avait une garnison importante. Beauvoir venait d'être nommé chef-lieu du canton et s'était à son tour doté d'une force de police. Mauzé se trouvait sur un axe très important. La commune était située sur la route qui desservait les arsenaux royaux de La Rochelle, Brouage et Rochefort.   [<-]

[7] À cette époque où la majorité des villageois étaient encore pratiquants, l'église de La Foye-Monjault était trop petite pour accueillir tout le monde. Une partie des fidèles se tenaient donc debout près de la porte d'entrée.   [<-]

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