1794 : première procédure de divorce au village



Sous l'Ancien Régime, le divorce était interdit. Des tribunaux pouvaient prononcer la séparation des époux et de leurs biens, mais ce jugement n'annulait pas le mariage : tout au plus, elle permettait aux deux époux de vivre indépendamment l'un de l'autre.

Tout changea avec la loi du 20 septembre 1792 [1]. Le divorce devint alors une procédure administrative relativement simple à mettre en œuvre. Il pouvait être prononcé par consentement mutuel, sans motif particulier, ou imputé à l'un des époux en raison de fautes particulières, comme l'abandon ou la violence.

Le nombre croissant des divorces qui s'ensuivirent (un mariage sur trois) provoqua la réaction des partis conservateurs, et la presse s'empara du sujet. Mais rien n'y fit. Cette évolution de la société répondait à un besoin réel.

La loi n'était pourtant pas encore tout à fait impartiale entre les hommes et les femmes : l'époux pouvait se remarier immédiatement après le divorce, là où l'épouse devait attendre un an (en cas de grossesse survenue après la séparation, afin de déterminer la paternité) [2]. De plus, celle-ci perdait ses biens si elle était jugée responsable, alors que le mari conservait les siens quoi qu'il arrive. Malgré cela, la majorité des divorces étaient initiés à la demande des femmes.

Ce n'est donc pas un hasard si à La Foye-Monjault, le premier divorce fut requis à l'initiative d'une femme, Madeleine Baudin, en décembre 1794. Elle était la fille du premier maire de la commune élu quatre ans plus tôt. Il semblerait qu'elle ait non seulement bénéficié de l'assentiment de son père, révolutionnaire engagé favorable aux nouvelles réformes sociales, mais que la suggestion soit venu de lui (Madeleine était illettrée, alors que son père était bien au fait des lois). Il se peut aussi que leur union n'ait jamais été vraiment légitime aux yeux des parents. Il avait en effet fallu régulariser une grossesse déjà bien engagée (Madeleine avait accouché de leur première fille tout juste deux mois après le mariage).

C'est l'unique cas recensé au village entre 1792 et 1884. Outre les conséquences sociales qu'on imagine à l'époque, en particulier pour la réputation de l'épouse, les changements apportés au Code Civil en 1804 rendront cette démarche plus complexe. Le droit au divorce sera ensuite aboli en 1816, sous la Restauration, et ne sera rétabli qu'en 1884 sous la présidence de Jules Grévy (IIIe République).

La procédure
Le tonnelier René Gaboriaud et son épouse Madeleine divorcèrent pour cause « d'incompatibilité d'humeur et de caractère » (jargon légal de l'époque [3]), tout juste un mois après la naissance de leur dernier fils Philippe.

En décembre 1794, Madeleine convoqua à la maison commune (l'église, qui servait aussi de mairie), par acte délivré à son mari le 22 du même mois par François Delavaud, huissier, une première assemblée de famille, tenue devant Jean Philippe Clerc, officier municipal. Elle produisit quatre témoins dont son père et François Barreau, le garde champêtre.

Deux autres assemblées s'ensuivirent, conformément aux articles de loi du 20 septembre, au cours desquelles les parents furent présents. Ils avaient pour tâche de réconcilier les époux. Les trois assemblées n'aboutissant pas, il fut délivré aux époux un certificat définitif de « non-conciliation ».

Le 19 juillet, René fut sommé par huissier de se présenter une nouvelle fois à la maison commune, ce qu'il refusa. La dissolution de leur mariage fut donc proclamée en son absence.

Postérité
René se remariera en janvier 1810 avec Marie Catherine Baudin, de l'autre branche Baudin de La Foye, dont l'origine remonte au XVIIe siècle dans cette commune. Elle lui donnera également trois enfants.

Durant la Révolution, René avait déjà perdu deux des trois enfants qu'il avait eu de Madeleine. Sous l'Empire, il perdra également les trois enfants qu'il aura de sa seconde épouse. Cette période très dure de l'histoire de France fut en effet marquée par la disette, et l'on relève une forte mortalité infantile durant le règne de Bonaparte. Par surcroît, Philippe, son seul fils survivant, devra partir à l'armée en 1813, où il servira dans un régiment d'artillerie de marine. Nous ne savons pas encore ce qu'il est advenu de lui.

René décèdera à La Foye en 1843, âgé de 84 ans.

De son côté, Madeleine se remariera avec Jean Juin en 1811. Ce sera l'occasion d'une union entre deux familles liées à la minoterie. Jean, qui avait perdu sa femme trois ans plus tôt, était le fils d'un meunier d'Ardin. Il travaillait avec son père et trois de ses frères au moulin à eau de Bouzon, sur la Sèvre, situé au faubourg de Ribray à Niort.

À La Foye, le moulin dit Baudin, ainsi nommé car ayant longtemps appartenu à la famille de Madeleine [4], était l'un des trois moulins à vent en activité dans la commune. Peut-être appartenait-il toujours à cette famille à la date de leur mariage ? Cette riche héritière constituait en tout cas un parti intéressant, et le relevé du cadastre de 1820 voit son mari propriétaire de plusieurs terrains à La Foye, parmi lesquels se trouvent le dit moulin et des champs alentours.

Jean décédait en 1820, et Madeleine épousait peu après Louis Lièvre, un tailleur d'habits de Niort. Elle l'avait connu par l'intermédiaire de sa belle-famille : Louis était natif de Saint-Hilaire-des-Loges en Vendée, où Jeanne Juin, la sœur de son défunt époux, habitait avec le meunier Jean Baudry au moulin de l’Essert.

Louis s'éteignit à son tour à l'âge de 82 ans, à La Foye, en 1837. Mais Madeleine fit encore la connaissance de Pierre Marie, agriculteur veuf demeurant à Usseau, qu'elle alla rejoindre au hameau d'Ussolière. Il avait 26 ans de moins qu'elle (lui âgé de 47 ans, elle de 73), ce qui ne l'empêchera pas de l'épouser en quatrièmes noces, en 1841.

Madeleine décèdera à Usseau six années plus tard, en 1848, à l'âge de 79 ans.

Où l'on rapporte un autre « coup de sang »
Il faut admettre que certains de nos Baudin de La Foye avaient le sang chaud, comme on dit... 

On trouve dans les registres de Frontenay, le 4 février 1811, la trace d'un mariage annulé. L'acte avait été rédigé avant la cérémonie par le maire Laidin-Labouterie. Il manquait juste au texte l'ajout des principaux témoins. Ce jour-là, Pierre Baudin, veuf (et frère de Marie Catherine ci-dessus, la seconde épouse de René Gaboriaud), devait épouser Marie Anne Arnaud de Frontenay. Tout était fin prêt. Mais à peine commencée, la cérémonie fut brusquement interrompue. 

Après avoir dument rayé les trois pages qu'il venait d'écrire, le maire dont on devine l'embarras, ajoutait : « ...ledit mariage n'a pas eu lieu attendu que ledit Pierre Baudin, qui se proposait d'épouser Marie Anne Arnaud, a eu avant le moment de l'acte une attaque ou un coup de sang qui a empêché l'accomplissement du mariage... »

Coup du sort, le seul témoin rapporté dans l'acte raturé, choisi pour représenter à Frontenay Louis Baudin, père de l'époux peut-être souffrant, n'était autre que René Gaboriaud.

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Notes
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[1] Cette même loi décrétait par ailleurs la laïcisation de l'état civil, c'est à dire le transfert des registres paroissiaux de l'église à la mairie. Ceux-ci seraient désormais tenus par un officier municipal plutôt que par le curé.

[2] En fait, si la raison donnée pour le divorce était « l'incompatibilité d’humeur et de caractère », les époux devaient attendre trois ans avant de se remarier.

[3] On avait défini trois cas de divorce : par consentement mutuel, pour incompatibilité d’humeur et de caractère, et pour motif grave (démence, violence, condamnation en justice, dérèglement des mœurs, sévices, abandon, émigration).

[4] Son ancêtre Antoine BAUDIN est noté comme fournier dès 1686.

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Dans les registres de La Foye-Monjault : BMS 1792 - An X, vues 80, 84 et 90/358.

J comme JUIN, Lettres de nos moulins, article de Sylvie sur l'Arbre de Nos Ancêtres.





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