Le culte de Bonaparte au village




En décembre 1800, des royalistes font exploser un tonneau de poudre placé dans une charrette au passage de Bonaparte, dans ce qui sera connu comme l'attentat de la rue Saint-Nicaise. La bombe rate de peu sa berline. Mais le Premier consul, qui avait écrasé l'insurrection royaliste de 1795, sait depuis longtemps à quoi s'en tenir : suite à son coup d'État quelques mois plus tôt, une purge de l'administration des fonctionnaires monarchistes avait permis à André Vien de devenir maire de La Foye-Monjault.

En janvier 1800, le Consulat provisoire est remplacé par un
consulat permanent. Une purge de l'administration a lieu,
qui conduit à la promotion de Vien.

Vien n'ignore pas à qui il doit son poste. Le 6 mars 1804, il prend pour prétexte un rapport sur l'attentat produit par Claude Ambroise Régnier, ministre de la justice, pour demander au curé Claude Martin Després de chanter un Te Deum (ou plutôt cette version) en l'honneur de Napoléon. Ce qui sera fait à l'issue de la messe du dimanche 18 mars.



La lecture du procès verbal accompagnant le rapport donne une idée de l'estime que Vien éprouve pour Bonaparte :

Vu le rapport du Grand Juge, ministre de la Justice au gouvernement, le 27 pluviôse dernier, concernant l'assassinat prémédité du Premier consul, par le lâche et infâme Cabinet de Londres. 

Considérant que les jours du Premier consul, Bonaparte, ne peuvent qu'être infiniment chers à tout Français, et à tout ami de l'ordre et de son pays, que chacun doit s'empresser de bénir le ciel d'avoir encore une fois sauvé le héros de la France et son pacificateur, des mains de ses lâches assassins, soudoyés par la perfide Angleterre, et d'avoir fait avorter leurs criminelles entreprises.

Nous, maire de la commune de La Foye-Monjault, soussigné, avons arrêté qu'il serait chanté un Te Deum en actions de grâces, pour la conservation des jours du Consul Bonaparte, à l'issue de la messe, et que le public serait par nous invité à y assister, pour partager notre juste allégresse.

Que le desservant de cette commune serait invité à chanter ce Te Deum, le 27 de ce mois, à l'issue de sa messe, après que nous aurions donné lecture au public du susdit rapport du Grand Juge.

Et que le présent arrêté serait consigné dans le registre de nos délibérations, pour perpétuer le souvenir des bienfaits de la Providence, et attester de notre attachement à la personne du Premier consul.

À La Foye-Monjault, le 15 ventôse de l'an XII de la république française.

N.B. Le Te Deum a été chanté le 27 de ce mois par le citoyen Després, desservant, à l'issue de la messe.

Signé : Vien, maire.
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Napoléon sera sacré Empereur quelques mois plus tard.

Cette année-là, la fête du 14 juillet, considérée comme subversive, n'est plus commémorée (elle sera interdite jusqu'en 1848).

La fête de la Saint-Napoléon
Le décret du 19 février 1806 institue à sa place la Saint-Napoléon, célébrée le 15 août.

Procès verbal de la fête de la Saint-Napoléon,
à La Foye-Monjault, en 1808.

Chaque année, le secrétaire du conseil municipal donne un compte rendu du déroulement de la fête, que l'on peut lire dans les registres des archives communales. À cette époque toutes les célébrations de ce type, comme auparavant le 14 juillet [1], adoptent plus ou moins le même programme : annonce aux tambours, offices religieux (à l'exception de 1793 et 94), processions, parade de la garde, discours, boissons, décharges de fusils, danses et feu de joie.

En 1806, l'opposition au religieux n'est plus de mise. La célébration a lieu non seulement en l'honneur de Napoléon, mais aussi du rétablissement du culte catholique et de la signature du Concordat.

Selon le procès verbal du greffier, le jour dit, à six heures du matin, on déclare le commencement de la fête au son des tambours. À neuf heure, les gardes nationaux se réunissent devant l'église. Leur commandant a reçu de la municipalité le programme de la journée, et le curé Després confirme avec lui l'heure de la messe.

À dix heures, un détachement de la garde nationale fort d'une vingtaine d'hommes arrive chez le maire. Vien les y attend en compagnie d'André Isaac Bastard (maire du Grand-Prissé et frère de son voisin), et du juge de paix, invités par lettre une semaine plus tôt. Accompagnée des conseillers municipaux, la petite troupe se rend alors à l'église pour y entendre la messe. Durant celle-ci, on fait une quête pour les pauvres.

La garde les reconduit ensuite chez eux. Elle revient à trois heure pour les escorter de nouveau jusqu'à l'église, cette fois pour l'office des vêpres. Les gardes forment une double haie et la procession pénètre dans la nef, où elle chante un Te Deum. Le chant est précédé d'un discours du curé, dans lequel il rappelle que « tout pouvoir vient de Dieu, et que dès lors nous devons tous être soumis à l'autorité de notre auguste Empereur. Cette soumission nous est aussi religieusement et impérieusement commandée par la vertu, par la religion, et par les bienfaits du grand Napoléon. » La fin du discours est couronnée par une décharge des mousquets de la garde.

L'office terminé, le cortège retourne chez le maire qui offre à tous des rafraichissements. Il a fait préparer pour l'occasion une barrique de vin, issue de son vignoble, avec des tables et des chaises placées dans la grande cour de sa demeure.

Les réjouissances peuvent alors commencer : il y a des courses, des jeux et des danses (la favorite étant la farandole qui devait être jouée sur cet air et dansée, peut-être, de cette façon). Après avoir dîné en compagnie des officiers de la garde et des notables, Vien ouvre le bal, sans doute avec sa femme Marguerite ou l'une de ses deux filles, et tout le monde danse jusqu'au coucher du soleil.

Les tambours résonnent alors pour annoncer le départ des autorités, accompagnées de la garde, qui vont assister au feu de joie. Des villageois ont été requis les jours précédents, afin de dresser un bucher à la frontière des communes de La Foye et du Grand-Prissé.

Arrivé près du bucher, les maires font une brève adresse à la foule. Vien rappelle aux villageois le sujet de la fête, ainsi que « les puissants et innombrables motifs que nous avons de bénir le ciel, pour l'implorer de protéger et d'accorder de longs jours au sauveur de la France, à l'incomparable et immortel Napoléon ! »

Aussitôt, les cris de « Vive l'empereur ! » et « Vive l'impératrice ! » se font entendre, répétés et se mêlant à une nouvelle décharge de fusils.

Il poursuit en leur expliquant que « cette solemnité allait être couronnée par l'embrasement de ce bucher, et qu'il invitait ses concitoyens à le prendre pour l'emblème des vœux ardents qu'ils formaient pour la prospérité de l'État, pour la conservation des jours de notre auguste chef, à qui nous devons notre tranquillité et notre bonheur, et pour l'accomplissement d'une paix prompte et stable, que ces mêmes vœux s'élèvent vers le ciel, comme vont le faire les flammes de ce bucher, et qu'ils parviennent au trône de l'Éternel, pour lui prouver notre juste sollicitude pour les jours précieux du grand Napoléon, et pour l'invoquer de ne point détourner ses yeux de dessus l'Empire français. Il termine en rappelant que notre soumission aux lois était la meilleure preuve que nous puissions donner de notre amour pour notre divin monarque, de notre respect pour la religion, et notre désir pour la paix. »

Il allume alors le feu de joie, aux cris de « Vive leurs majestés impériales ! » et « Vive leur auguste famille ! » avec encore des décharges de mousquets, et cela pendant toute la durée du feu. À la fin, on fait même partir quelques « fusées d'artifice ».

Et jusqu'à dix heures, tout le village danse autour du brasier. Chacun se retire ensuite chez soi, « plein de satisfaction, en soupirant après l'heureux jour où une puissance générale et glorieuse nous réunira tous, pour chanter de nouveau la gloire du héros de l'univers. »

En 1808, Vien note qu'il est a regretter l'absence des magistrats et de la garde du Grand-Prissé (peut-être en raison d'un frère souffrant du maire du Grand-Prissé, qui mourra quelques mois plus tard. Pour sa part, Vien porte encore le deuil de sa fille Monique, décédée trois mois plus tôt). Les années précédentes, les gardes réunies avaient formé une troupe de 25 hommes. À cette époque en effet, ces deux municipalité partageaient ensemble l'usage et l'entretien de l'église Saint-Simon et Saint-Jude et de son presbytère. Les célébrations solennelles étaient donc en principe conjointes, situation qui perdurera jusqu'à la fusion des deux communes en 1887.



La fête du roi de Rome
À la Saint-Napoléon viendra ensuite s'ajouter la fête du roi de Rome, célébrée pour la première fois le dimanche 9 juin 1811, trois mois après la naissance du fils de Bonaparte et de Marie-Louise d'Autriche.

Procès verbal de la fête du Roi de Rome, à La Foye, en 1811.

Ce jour-là, les municipalités et les gardes de La Foye et du Grand-Prissé sont de nouveau rassemblées. Pour le reste, les rituels et réjouissances sont à peu de chose près les mêmes que pour la Saint-Napoléon. On en retiendra le discours de Vien :

« À l'issue de la messe, le maire rappela au public le double motif de la joie que nous devons faire éclater dans ce jour solennel. Et se reportant ensuite, en idée, auprès du berceau où repose le gage précieux de l'amour de nos souverains augustes, le gage et le dépôt sacré des destinées du peuple français, il a rendu au jeune Roi de Rome, au prince chéri, le juste tribut de la vénération, de l'amour, de la tendresse, du dévouement, pour lui, de cet heureux peuple, et de la vaine sollicitude pour tout ce qui peut contribuer au bonheur particulier de cet illustre rejeton du plus grand des héros, de l'immortel Bonaparte... Adressant ensuite ses vœux à l'Éternel pour qu'il donne de longs et heureux jours à ce monarque, il l'a conjuré de veiller à l'aurore de ses premiers sentiments, de ses premières affections, pour les diriger vers le bien et rendre, par là, ce jeune cœur digne de gouverner un jour, un peuple auquel il appartient d'avoir pour souverain un prince grand et vertueux. »

Ce discours est suivit des cris « Vive le Roi de Rome ! » et « Vive les auteurs de ses jours ! » et du chant d'un Te Deum, puis d'un Domine Salvum, durant lequel la garde fait décharger ses fusils.
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Et à la Restauration, en 1815, on substituera à ces deux fêtes celle de Saint-Louis, le 25 août, que le maire royaliste Manceau célébrera au village de la même façon.


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Note

[1] Voir le serment fédératif de Després du 14 juillet 1790.

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