Fermeture du prieuré et départ des derniers moines


L'abbé commendataire Müller, dernier prieur de La Foye

Dès la fin du XVIIe siècle, la charge du prieuré n'est plus qu'une rente financière attribuée aux grandes familles, à des nobles ou grands notables qui n'ont d'ecclésiastique que le titre. Plutôt que de suivre une vie monastique et austère à la campagne, les prieurs préfèrent désormais séjourner dans des villes comme Poitiers ou même à la cour de Versailles. Certains, tel François du Poirier de Vallois, ont acquis la charge de plusieurs prieurés, dont celui de La Foye, et bénéficient de revenus confortables leur permettant de mener un train de vie fastueux. Une partie des revenus sert sans doute à entretenir un ou deux moines sur place, et une rente est payée annuellement à l'ordre. Mais en dehors de cela, le prieur peut librement revendre ce titre foncier à un autre dignitaire ecclésiastique. L'approbation de l'abbé de Montierneuf ne lui est plus nécessaire.

En décembre 1783, le chanoine honoraire Jean Chrysostome Louis Müller rachète la charge du prieuré à son ancien professeur de théologie. En son absence, le fermier Bastard assure la gestion du domaine et de ses dépendances. En plus des vignes, ceux-ci comprennent deux logis pour les moines, un cellier doté d'une cave avec voûte d'ogive, huit fermes [12], le bois de La Foye d'une superficie de 330 hectares, un pressoir, des chais, un four banal, un moulin à vent, des granges, des écuries, des prés et des jardins.

Sous l'Ancien Régime, certains impôts sont collectés par le roi (la taille), d'autres par le seigneur, et d'autres enfin par l'Église. La Foye-Monjault étant une châtellenie ainsi qu'un prieuré placé sous la juridiction des bénédictins, le prieur Müller peut cumuler la dîme (moins la portion congrue versée au curé) et les taxes seigneuriales, comme le terrage et les banalités, ainsi que les profits résultant de la vente des blés et du vin de ses fermes et vignobles. Comme il est à la fois noble et membre du clergé, ses revenus sont quasiment exempts d’impôt.

Mais en revendant cette charge à l'Alsacien, Lambert, le professeur de Müller, avait peut-être déjà pressenti les évènements à venir depuis son observatoire parisien. Si la transaction semble au départ une affaire lucrative pour le chanoine, celui-ci n'aura guère le temps d'en profiter.

Déclin de l'abbaye de Montierneuf

Montierneuf ne s'est jamais remis des ravages causés lors des guerres de Religion, avec notamment la destruction de son cloître par les Huguenots en 1562. Malgré des travaux entrepris au XVIIe siècle, l'abbaye continua progressivement à décliner, à l'image des bénédictins et des autres congrégations. Ce phénomène s'accentua au XVIIIe siècle, alors que les moines étaient publiquement critiqués et raillés par les philosophes des Lumières. L'évolution de la société rendait par ailleurs la règle monacale moins attrayante. Les vocations sacerdotales se faisaient plus rares et les noviciats avaient du mal à recruter [13]. Nombre de petits monastères ruraux, comme celui de La Foye, étaient en crise.

L'abbaye de Montierneuf, à Poitiers, en 1699.

Dès le XVIIe siècle, en théorie, les bénédictins avaient institué des réformes afin d'éviter les abus des commendes. À l'abbaye de Saint-Maur, on décida d'élire les prieurs pour seulement trois ans. Mais ces réformes n'étaient pas appliquées uniformément par toutes les abbayes et, de toute évidence, elles ne touchèrent ni Lambert, ni Müller.

En 1783, alors que Müller acquérait le prieuré, Ambroise Chevreux devenait supérieur général de la congrégation de Saint-Maur, dirigée depuis l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés à Paris. À l'approche de la Révolution, les mauristes furent les derniers bénédictins à s'occuper de Montierneuf. Mais à cours de moyens, ceux de Poitiers seront contraints de se séparer en 1787.

Dom Ambroise Chevreux.

Nous ignorons la date exacte du départ les derniers moines du prieuré de La Foye, sinon qu'elle précède la dissolution du monastère dont ils dépendaient.

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les bénédictins de Poitiers ne disposent plus d'effectifs suffisants pour occuper tous les prieurés. Il est donc probable que celui de La Foye ait été déjà vacant sous Lambert, ou même avant. Les bénédictins étaient discrets et n'ont laissé que peu de trace. En tout cas, Bory ne fait jamais mention d'eux, ni aucun curé avant lui.

Quant au prieur Müller, il est encore présent à La Foye et au Cormenier en 1785, aux prises avec Bastard. Il est également cité dans un procès verbal datant de mai 1790, faisant état des biens imposables du prieuré.

Le fermier Louis Isaac Bastard de Crisnay meurt en 1787. Il est succédé par son fils aîné du premier lit, André Isaac Bastard des Touches.

En août 1789, les droits féodaux, la dîme, la capitation et les banalités, qui constituent l’essentiel des ses revenus, sont abolis. L'année suivante, l'abolition des vœux religieux et la suppression du clergé régulier par l'Assemblée constituante, entraîne la dispersion des moines et la disparition de l'ordre de Cluny.

Réfractaire à la constitution civile du clergé, Müller émigre en Allemagne. La vente des biens nationaux en 1791 permet à un autre noble, Jean-Baptiste Gaspard de La Perrière, ancien mousquetaire du roi, de racheter le prieuré et ses métairies pour la somme de 195 000 fr. Mais peu après, il est lui-même touché par la loi des suspects et contraint d'émigrer. Ses derniers biens seront bradés en 1795.

Dom Ambroise Chevreux, supérieur général des mauristes, est arrêté en 1792 à Paris, avec 250 prêtres de diverses classes et congrégations. Incarcéré à la prison des Carmes, il est massacré le 2 septembre.

Pourtant bien placé pour le rachat du prieuré, Bastard des Touches s'était contenté de rester fermier au service de De La Perrière, et ce malgré l'inimitié que lui portait l'ancien mousquetaire : en effet Louis Isaac, son défunt père, avait longtemps convoité l'un de ses fiefs, la seigneurie de Tesson-Thorigny.

En février 1793, le prieuré est de nouveau mis aux enchères. le Grand Logis est racheté par la famille Benoist pour 20,200 fr, et le Petit Logis et ses dépendances par Gautreau de La Bernière, qui acquiert dans le même temps l'ancien moulin et le champ de foire pour 13,660 fr.

Devenue bien national, l'abbatiale de Cluny sera vendue puis démolie au début du XIXe siècle. L'abbaye de Montierneuf servira quant à elle d'écurie pendant la Révolution et le Consulat, mais sera ensuite rendue au culte. Il faudra attendre 1833 pour voir renaître l'ordre bénédictin à Solesmes, dans la Sarthe, sous la direction de Dom Guéranger.

---

Aucun commentaire: