L’évolution des prénoms
sous la Révolution et l'Empire

Si par le passé, la tradition avait été de transmettre aux enfants les prénoms de leurs aïeux, ou ceux des saints et des martyrs, cette période de troubles historiques bouleversa pour un temps les usages. Outre les modes de l’époque, la Révolution provoqua une fracture avec le sentiment religieux qui se retrouve dans le choix des prénoms.

Jusqu’à la Révolution, les prénoms les plus fréquents à la Foye-Monjault étaient par ordre décroissant, pour les hommes : Jean, Pierre, François, Jacques, Louis, René, André, Michel, Antoine, Charles, Mathurin, Nicolas, Guillaume, Philippe, Simon, Joseph, Toussaint, Étienne, Laurent, Thomas, Paul, etc. Auxquels il faut ajouter quelques prénoms plus en vogue chez les protestants, comme Abraham, Isaac, Zacharie, David...

Et pour les femmes : Marie, Jeanne, Catherine, Françoise, Louise, Madeleine, Anne, Marguerite, Renée, Michelle, Elizabeth, etc.

Dès la Révolution, on constate une floraison de nouveaux prénoms, phénomène encore plus marqué à Niort qu’à la Foye-Monjault, et qui persiste jusqu'à la fin de l’Empire.

Récemment, en étudiant l’impact que les guerres napoléoniennes avaient eu sur l’émancipation professionnelle des femmes, nous avions observé une transformation sensible de l’organisation sociale durant le conflit. La paix revenue, les habitudes d’antan avaient retrouvé leur place, tout en ayant évolué sur certains points.

L'attribution des noms de baptême suit ici une évolution identique. A Niort, dès 1790, les prénoms révolutionnaires font leur apparition. Pour les hommes : « Brutus, Egalité, Décadi, Sans Peur, la Rose, Guillaume Tell, Liberté, Floréal, Héliotrope, Jacinthe, Emile (on lisait  L'Émile, de Jean-Jacques Rousseau), Pascal, Thermidor, Régulus, Scoevola, Messidor, Fructidor, Barras, Mars, Alcibiade, la Guerre, Germinal, Lamontagne, Cassius, Viala, Jasmin, Laurier, la Violette, Agricole, Rosier, Civique, Républicain, Sans Terre, Marat, Custine, Acacia, Caton, Pompée, Atys, Tircis, Origan, Hercule, Voltaire, Pascal, Lindor, Va-de-Bon-Coeur, Elicio, Sidrac, Corne, Aspelli… » [1]

Pour les femmes : « Rose, Victoire, Désirée, Joséphine (du nom de l'épouse du général Bonaparte), Sophie (on lisait les Lettres a Sophie, de Mirabeau), Adélaïde, Charlotte, Adèle, Virginie (l'héroïne de Bernardin de Saint-Pierre), Renée, Egalité, Tubéreuse, Jonquille, Pervenche, Olive, Liberté, Véronique, Jacinthe, Flore, Montagne, République, Orange, Violette, Bruyère, Framboise, Belle Rose, Hébéc, Cérès, Renoncule, Muguet, Anémone, Pomonè, Fleur d'Orange, Printemps, Lila, Cinna, Cornélic, Eglantine, Aubépine, Astrée, Epicharis, Azoline, Ciannée, Broise, Stoline, Alzire, Trophée… » [1]

Durant cette période à la Foye, on note ainsi dès 1788 Apoline, fille d’André Augustin Vien, président de l’assemblée municipale, et en 1794 le populaire Décadi, donnée par François Géoffriau, agent national de la commune, à son fils ; [2] Cloud et Victoire en 1813, et puis Esprit, en 1814.

Mais comme le fait remarquer Léonce Cathelineau dans son Étude sur les noms de baptême à Niort : « Les prénoms changent, en effet, selon les époques et les circonstances. Qu'un homme illustre se révèle. Immédiatement ses contemporains s'emparent de son nom, une châtelaine impose le sien, un artiste, une actrice renommés propagent le leur de tous côtés, le héros d'un roman en vogue, d'un opéra ou d'une pièce de théâtre exercera également une grande influence. […] Il ne faut pas croire cependant que ces prénoms de circonstances dominent par la quantité. Ils restent à l’état d'exceptions, et les vieux prénoms conservent la faveur du plus grand nombre. » [1]

Par comparaison, au village de la Foye-Monjault l’acquisition des nouvelles modes est plus lente et ne s’éloignent qu’à moitié des traditions. « Décadi » est donné à la suite d’un premier prénom plus classique : « François Décadi ». Et il faut attendre 1806 pour voir l'apparition fréquente de nouveaux prénoms inédits ou plutôt rares dans cette paroisse.

Accolés à ceux d’antan, ils deviennent alors : Jean Sylvestre, Louise Radegonde, Louis André Léon, Marie Madeleine Basilisse, Louise Julie, Madeleine Betsie, Marie Elizabeth Geneviève, François Victor, Louis Eugène, Madeleine Rosalie, Marie Rose, Louis Marcellin, Marie Madeleine Delphine, Madeleine Angélique, Marie Lucille, François Grégoire, Louise Esther, Marie Pauline, Madeleine Bénigme, Marie Anne Clémentine, Louis Cloud, Pierre Cyprien, Marie Victoire, Françoise Hortense, Pierre Esprit, Jean Ildephonse, etc.

Cette évolution fut aussi le fait de nombreux journaliers, cultivateurs et domestiques, venus à cette époque d'autres paroisses ou régions. Plusieurs de ces familles se fixèrent à la Foye, comblant les vides laissés par les hommes partis servir dans les armées de Bonaparte. [3]

Dès 1816 sous la Restauration, les hommes et les femmes (dont certaines avaient temporairement remplacé les hommes aux champs) reprirent leurs habitudes d'avant-guerre. Et l'on constate aussitôt dans les registres que les prénoms de choix redeviennent ceux de l'ancien régime.

Toutefois, certaines choses ont changé : durant la Révolution on trouvait encore, lors de la déclaration de naissance par le père, une homme et une femme témoins (qui pouvaient être le parrain et la marraine). Désormais, les témoins qui sont généralement des hommes, sont dits « appelés » ou « requis ». C'est-à-dire que la relation des témoins au déclarant n'est plus essentielle. Le baptême se fait séparément, à l'église. C'est cette cérémonie qui conserve une certaine convivialité. Mais elle ne laisse plus aucune trace dans les registres d'État-civil, simples recueils de formulaires administratifs, souvent plus fiables mais dépourvus du caractère que lui imprimait le curé.

Cathelineau ajoute : « Quoique puériles en apparence, ces différentes nomenclatures donnent la mesure du sentiment chrétien et des traditions familiales à travers les âges. Dans les siècles de foi, les noms de baptême sont empruntés surtout aux saints que la paroisse vénère. Lorsque survient la réforme protestante, la Bible entre en concurrence avec le martyrologe et l'hagiographie. Puis les cultes de la déesse Raison et les passions politiques bouleversent un instant les usages les plus respectables. Enfin notre siècle d'indifférence religieuse n'obéit guère qu'à la fantaisie mondaine. »



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Notes
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[1] Étude sur les Noms de Baptême à Niort (p54/408) Léonce Cathelineau, Société Historique et Scientifique des Deux Sèvres, recueil de 1905

Extraits :

« Il est bon aussi de faire remarquer que, jusqu'à la fin du XIIIe siècle, on ne donnait qu'un seul nom de baptême. Deux noms étaient une exception. De nos jours, on en trouve 2, 3, 4 et même 5.

En 1691, il y a 398 baptêmes à un nom; 64 à deux noms; 1 à trois noms.
En 1791, il y a 325 baptêmes à un nom 140 à deux noms; 14 à trois noms et 2 à quatre noms.
En 1891, on en compte 58 à un nom, 214 à deux noms, 128 à trois noms et 16 à quatre noms.

Le nom masculin le plus usité à Niort est celui de Jean. Il était déjà porté dans les Xe, XIe et XIIe siècles, probablement à cause de Saint Jean l'Evangéliste. Il faut aussi remarquer que, dans le courant du XVIIIe siècle, le nom de Jean est suivi de celui de Baptiste.

Ces prénoms, très anciens, remontent à une époque indéterminée. Mais il y en a d'autres auxquels on ne songeait ni au XVIIe ni au XVIIIe siècles, et qui ont été en vogue au XIXe. Les voici : Georges, Ernest, Roger, Victor, Henri, Augustin, Gaston, Maurice, Marcel, Émile, Albert, Fernand, Alfred, Jules, Eugène, Léon, Gabriel, Raymond. Et pour les femmes : Yvonne, Germaine, Eugènie, Henriette, Fernande, Albertine, Alice, Léontine, Berthe, Adrienne, Marcelle, Juliette, Aline, Ernestine, Odette, Eva, Lucie, Andrée…

Les noms des saints qui ont été choisis comme patrons des églises de notre diocèse sont généralement les moins donnés en baptême. Saint Hilaire, qui a 74 églises sous son patronage/ne paraît que trois fois seulement en 1691. Saint Georges, qui a 16 vocables, ne paraît ni en 1691 ni en 1791, mais 17 fois en 1891. Saint Etienne, qui a 13 vocables, est inscrit 4 fois en 1691, 41 fois pendant la Révolution et 2 fois seulement en 1891. Saint André, qui a 10 vocables, paraît 14 fois en 1691, 9 fois en 1791, 120 fois pendant Ià Révolution et 8 fois en 1891. Par contre, Saint Jacques, qui n'a que 6 paroisses, est donné 30 fois en 1691, 26 fois en 1791, 145 fois pendant la Révolution, et 2 fois seulement en 1891.

Certains noms, qui étaient fréquemment portés, tendent à disparaître [en 1905]. Ainsi, Nicolas, qui est le patron des garçons, n'a été inscrit qu'une seule fois dans les baptêmes de Niort en 1891. Catherine, la patronne des filles, ne paraît également qu'une seule fois pendant cette dernière année. »

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[2] Référence au calendrier républicain dans lequel les semaines, ou décades, comptent dix jours, le dixième jour portant le nom de décadi. C'est le jour de la naissance de son fils.

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[3] Dans les registres, on observe l'arrivée des familles suivantes à la Foye : Bon, Bourdon, Cubaud, Drouhet, Mureau, Tristan [en 1804], Bureau, Guinebert, Sabourin [en 1807], Bordet, Noquin [en 1808], Griffon, Hipeau [en 1810], Garetier, Pommier, Rossignol [en 1811], Piré [en 1812], Cault, Dumaine [en 1814], Bagonneau, Brottier, Bréard, Meunier [1815].