Elle aura connu les deux guerres : La grande, celle de 14-18, et la mondiale, celle de 1939-45.
Certes, elle ne sera pas allée combattre au front, mais elle aura assuré les arrières, c'est à dire "l'intendance", la première fois en 1914 aux cotés de sa mère pour gérer la grande ferme à La Foye, la seconde aux côtés de son mari, Albert, pour loger et nourrir la famille et les nombreux réfugiés. Tous les jours près de 15 bouches à nourrir, et jusqu'à 40 pendant la période de l'exode de 1940.
Malgré cela elle ne se plaignait jamais, ayant toujours un mot pour réconforter les angoisses.
Gabrielle à 17 ans |
Début 1906, ils avaient déménagé à La Foye dans la maison que le grand-père Louis venait d’acheter. C’était une ferme qui était assez grande pour y loger tout le monde.
Tout naturellement Gabrielle avait rejoint l’école de La Foye et aimant apprendre, elle s’y révéla une élève assidue.
A l’école de La Foye en 1908 – Institutrice Mme Nourisson (à droite) Premier rang au centre : Gabrielle Vinatier (6e à partir de la
gauche, col blanc). |
Gabrielle à 14 ans, avec ses parents, Alina et Eugène Vinatier |
Fin Aout 1914, elle avait vu partir au front son père Eugène et ses deux oncles, Julien et Lucien, et plus tard son cousin Silas.
Gabrielle à 16 ans, et Alina |
Elle était restée seule avec sa mère Alina dans la grande ferme du « Logis ». Heureusement elles pouvaient compter sur l’entraide des deux grands pères, Louis et Alexandre, ainsi que la grand-mère Louise. Il y avait aussi les voisins, les Bouhet, et aussi Marie, la femme de Clément Couhé, le meunier, parti aussi à la guerre.
A ce moment le village ne faisait plus qu’une grande famille.
C’était un travail beaucoup trop lourd pour des femmes, enfants et vieillards, mais il n’y avait pas d’autre choix. Il fallait continuer à vivre, et aussi réconforter ceux qui étaient au front.
Fin Août on était venu leur réquisitionner leur plus beau cheval pour l’armée, celui que l’on attelait à la carriole qui permettait de se promener le dimanche, ou rejoindre la gare de Beauvoir. Heureusement il leur restait deux gros chevaux de trait, qui servaient pour les travaux de la ferme.
Avec Alina, Gabrielle avait donc appris à harnacher chevaux et bœufs auprès des grands pères, puis elles étaient parties aux labours. Gabrielle suivait sa mère et l’aidait comme elle pouvait.
Puis il avait fallu ensemencer le grain, et traire les vaches.
Dès l'été 1914, les femmes ont dû remplacer les hommes partis au front, permettant ainsi de nourrir les civils et les soldats. Les paysannes, « gardiennes du territoire national », comme le romancier Ernest Pérochon les surnommera en 1924, furent les premières sollicitées pour contribuer à cet effort.
Malgré l'aide des enfants et des personnes âgées, la culture des champs s’avérera épuisante. N'ayant parfois plus d'animaux de trait, certaines femmes se mettront même à plusieurs pour tirer les charrues.
Les grands-pères, eux, s’occupaient du potager et des volailles.
Sur la porte de la mairie elles avaient lu une affiche portant le discours du président du Conseil René Viviani demandant aux femmes des campagnes, de remplacer maris, pères et frères " préparez-vous à leur montrer demain la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés..." En effet, c’était vital pour approvisionner les soldats.
Cet engagement des femmes va se prolonger quatre ans jusqu’à la démobilisation.
La guerre avait duré quatre longues années. Gabrielle était à présent une jeune fille, mais elle s’était endurcie et avait appris le courage.
Heureusement, début 1919 son père était revenu, ainsi que ses oncles. Il était blessé, fatigué et amaigri, mais de retour. Après la joie des retrouvailles, la vie avait repris peu à peu.
Dans les tranchées de Verdun, Eugène s’était fait un camarade : Emmanuel Prunier. Celui-ci était affecté au ravitaillement par camions, une situation très périlleuse. Un jour, un obus était tombé sur le camion qu’il conduisait et par miracle il avait pu s’échapper et regagner les tranchées. C’est ainsi qu’ils firent connaissance et devinrent vite de bons copains. L’un habitait Usseau et l’autre La Foye, ce qui renforçait encore plus leur amitié.
Emmanuel Prunier |
Aussitôt rentrés chez eux, les copains reprirent contact. Habitant à 4 kms l’un de l’autre, ils se rendirent souvent visite et firent connaissance avec leur famille réciproque. Eugène avec sa fille Gabrielle et Emmanuel son fils Albert et sa fille Albertine.
Tous ces jeunes étaient à peu près du même âge. Et ce qui devait arriver arriva : Albert et Gabrielle tombèrent amoureux.
Ils se fiancèrent et se marièrent le 20 Juin 1920.
Peu après, le 30 Mars 1921 une petite fille vint au monde, on la prénomma Irène. Ce fut une petite fille heureuse, entourée de beaucoup d’amour.
La prospérité était revenue peu à peu, Eugène ayant pu acquérir de plusieurs morceaux de terre pour agrandir sa propriété. Il était un peu plus favorisé que ses frères car son épouse Alina, avait reçu de l’argent en dote de son père Alexandre Morisson.
Le "Logis" en 1936 : Les poules se promènent dans la cour. Au premier plan une charrue. |
Sous le porche une Delage, une des premières autos acquises par Eugène
Vinatier.
A nouveau en guerre
Pendant plusieurs mois, il faudra héberger et nourrir les nombreux réfugiés, beaucoup venant des Ardennes. Près de 40 personnes en plus au Logis début 1940. Toutes les provisions y passaient : Récoltes, légumes du jardin, volailles, animaux…
Il y aurait aussi l’occupation de soldats allemands dans la maison, ce qui créerait de nombreuses tensions.
Dès 6 heures du matin il fallait se lever pour aller traire les vaches, et aider à leur donner du foin et des betteraves. Il fallait aussi avoir préparé la pâtée pour les cochons.
Puis il fallait aller au poulailler ou au clapier choisir des volailles. Les tuer, les dépouiller ou les plumer, puis les vider ; un travail pas très agréable. Ensuite prendre les paniers de légumes qui avaient été remplis par le grand-père et revenir en cuisine. Il fallait se dépêcher car tout le monde serait là pour le déjeuner et il ne faudrait pas les faire attendre.
Épuisée par le travail et les chagrins.
La famille devant l'écurie en 1926 |
Mais Gabrielle continuera à s'occuper des animaux chaque jour, dimanche y compris, traire les vaches et les chèvres à l'étable, pour ensuite revenir s'occuper de la maison et faire la cuisine, les grands-mères se faisant plus vieilles et ne pouvant plus aider.
Gabrielle en haut à gauche, aux cotés d'Albert. Elle porte des lunettes foncées, sa vue étant défaillante. | . |
Alina décédera en 1953, suivant de quelques mois son mari Eugène.
Gabrielle sera très affectée de la perte de ses parents. Elle décèdera à son tour quelques années plus tard, le 3 novembre 1958, à l'âge de 57 ans, victime d’un AVC, une « attaque » comme on disait à l’époque.
Gabrielle avec sa mère Alina en 1950. |
N’ayant pas de successeur, Albert arrêtera sa ferme, et décédera en octobre 1969 à l’Age de 71 ans.
C'était une autre époque... Nous en avons tous connu de ces femmes volontaires, travaillant toujours et aidant les autres, dans les fermes de notre région...
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