Au temps de l'occupation. Irène Prunier, une Fayaise raconte...

Que la vie était douce en cette fin des années 30 à La Foye.

Irène Prunier, dans l’insouciance de ses 18 ans, fille unique au sein d’une famille unie, coulait des jours heureux dans la grande ferme du « Logis » située au sud du bourg.

Irène à 20 ans

Elle avait beaucoup d’amies au village et le temps passait très vite.

Irène Prunier et sa cousine Jacqueline Morisson prennent la pause avec leurs deux chiens.

 Sa mère et surtout ses grand-mères avaient la réputation d’être d’excellentes cuisinières et elle apprenait à leur côté comment régaler toute la maisonnée de bons petits plats. Et puis il y avait le théâtre paroissial ou garçons et filles se retrouvaient chaque semaine pour répéter et préparer le spectacle ou toute la région se presserait. Le théâtre de La Foye avait une grande renommée, et d’ailleurs les parents avaient prévu de construire une nouvelle salle dans l’année, juste à coté de l’église.

Toute l’équipe de Jeunes de La Foye en visite au marais poitevin
Irène assise sur le pont à gauche (3eme)

   

Elle avait eu la chance de visiter à Paris l’exposition universelle de 1937, invitée par ses cousins habitant la région Parisienne, et cela avait été un éblouissement.

 

Pour l’instant tout se passait bien, elle avait toute la vie devant elle !

Elle ne se doutait pas que d’ici quelques mois tout allait basculer et que les sombres années de l’occupation Allemande allaient autant bousculer la vie des habitants de La Foye.

La plupart des fermes de la commune étaient prospères. Parmi elles il y avait celle d’Albert Prunier située au sud du bourg, qu'il gérait avec ses deux beaux-pères.

Albert dans la basse-cour. Les oies ont faim !

Été 1939. Les récoltes étaient belles malgré quelques épisodes de pluie qui, à la fin du printemps, avaient fait pourrir le blé. Malgré cela la vendange s’annonçait belle et on aurait suffisamment de vin pour tout le monde. Il faut dire qu’il y avait près de près de quinze personnes à nourrir chaque jour entre la famille et  le personnel. Heureusement il y avait beaucoup de volailles, de cochons et de veaux engraissés, et les légumes du marais de la Marzelle (au sud d'Usseau), et de Tesson permettraient de nourrir tout ce monde.

En ce premier jour de Septembre, Albert était dans l’écurie à traire les vaches, et comme à son habitude son beau-père Eugène l’avait rejoint. Chaque jour, debout dès l’aube, ils devaient traire toutes les bêtes avant le passage du laitier. Celui-ci n’attendait pas et aussitôt les bidons remplis ils les plaçaient à l’entrée de la ferme pour qu’il les prenne dans son camion en échange d’autres vides.

Eugène, tu crois qu’on va être en guerre ?
« Mon drôle, j’ai bien connu les Boches, ils veulent se venger. On est dans un bien foutu pétrin. A présent le conflit est inévitable »

Depuis la veille les gens du village savaient que les troupes allemandes avaient franchies la frontière Polonaise. Maurice Decemme, domestique à la ferme, l’avait entendu au café Dorey. C’est le gendre, René Berlouin qui tenait le bar, qui l’avait entendu à la radio.

Puis le 2 Septembre cela avait été la mobilisation générale. Plusieurs du village avaient reçu une convocation pour rejoindre leur garnison. Pour René Berloin ce serait Metz.

Et pendant plusieurs mois ils attendraient dans leur casernement. C’était ce que l'on appelait « la drôle de guerre ».

René Berlouin, au centre, avec ses camarades en Mars 1940.
 
Pendant huit mois, soldats français et allemands se feront face, les premiers cantonnés sur la ligne Maginot longue de plus de 700 kilomètres, les seconds derrière la ligne Siegfried. Mais le 10 mai, la Werhmacht prend l’initiative et envahit les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique. Elle contourne la ligne Maginot et pénètre en France par les Ardennes. L’armée française est dépassée, c’est la débâcle.

Des Français du Nord de la France, des Belges, des Hollandais et des Luxembourgeois fuient l’envahisseur allemand.
Les familles partent en catastrophe vers Paris puis descendent vers le Sud, beaucoup vers le Sud-Ouest, et surtout direction la côte atlantique qui leur paraissait un havre de paix. Fort heureusement, la météo de ce printemps de mai 40 est clémente.

  
Puis à partir de Juin-Juillet 1940, plusieurs arriveront à La Foye et la mairie se préoccupera de leur accueil et hébergement. Et bien sûr, le « Logis » se portera volontaire.

Irène a 18 ans.
 

Irène Prunier raconte :
Son témoignage est représentatif de ce que beaucoup de familles de la commune ont vécu, et mérite d’être rapporté pour l’exemple. « Le début de l’exode mit les gens du Nord et de l’Est en route vers les régions épargnées. Ce fut le cas tout d’abord pour notre famille de Paris dont nos cousins Beaujean de Villemomble en Banlieue, venus mettre leur petite Françoise à l’abri.
 
Marcel Beaujean et sa fille Françoise dans ses bras 

Ils repartiront un peu plus tard, et Françoise, restée sur place, sera très entourée d’affection et se plaira beaucoup à la ferme avec tous ses animaux. Elle restera à la maison pendant toute la guerre. C’est moi qui m’en occupais, j’étais sa marraine.

Françoise essaie de conduire la paire de bœufs sous l’œil amusé de Roger Braud.

Françoise devant les clapiers à Lapins.

Plus tard, son père, Marcel Beaujean, sera fait prisonnier en Allemagne au camp de Torgau-sur-Elbe et prendra régulièrement de ses nouvelles. En retour il sera très heureux de recevoir régulièrement les colis copieusement garnis que grand-mère Alina lui préparait.


Janvier 1944 : J’ai été heureux de constater la bonne mine de ma petite « zazou »,
Comme elle a dû être heureuse auprès de vous tous !


Un peu plus tard ce sera l’arrivée du cousin Raymond Vinatier, le fils de Clément Vinatier mort à la guerre de 14. Il était sous-directeur de la Société Générale de Dieppe, et par crainte du pillage de la banque, il avait emporté avec lui tous les fonds ainsi que le contenu des coffres. Il entraînera aussi avec lui tout le personnel, de la banque femmes et enfants à La Foye.
Il fallut trouver une cachette à ce magot et ce fut dans le grenier, dans les tas de blé que fut caché ce trésor …
Il y avait aussi quelques pistolets que la banque réclamera à la libération.
 
Juillet 1945. La Société Générale de Dieppe réclame quatre pistolets.

Quelques jours plus tard ce fut au tour de nos cousins Vinatier de Touraine de nous rejoindre.

Il fallait nourrir tout ce monde, heureusement Grand-mère Alina était là. Elle avait fort à faire en cuisine.

Après la famille, nous accueillîmes de pauvres réfugiés de l’Est qui arrivaient affamés, certains en haillons et éreintés. Arrivés dans le bourg, on les dirigeait vers le « Logis » puisque la propriété était grande et était réputée pour son accueil.

Mais, malgré cela, la maison était pleine à craquer. Mes parents et moi, avions déjà donné nos chambres. Je couchais sur un édredon dans un bout de couloir, et mes parents s’étaient improvisé un lit dans le grenier.

Alors Papa qui n’était pas à court d’idées, rassembla des bâches qui servaient à couvrir le blé et la paille, et il en prit aussi chez les voisins. C’est ainsi qu’à l’aide de piquets, des tentes furent improvisées dans le pré attenant à la maison. Puis l’on confectionna des lits avec des planches, équipés de matelas faits de sacs de toile remplis de paille et balles d’avoine. Au moins ils seraient à l’abri. En cette saison de début juin, on ne craignait pas le froid, et ils seraient quand même mieux que par terre.

De leur coté, les jeunes, dans le bourg, faisaient la collecte de tous les vêtements usagés qui servirent à habiller les réfugiés.

Et puis l’on vit arriver à la ferme un docteur et un dentiste. Ceux-là étaient arrivés en caravane et purent donc s’installer à côté des tentes.

Leur présence parmi nous fut bienvenue car ils avaient amené leur équipement et purent ainsi soigner tout le monde. Pendant cette période nous eûmes deux accouchements et, étant sur place, ils purent faciliter ces deux naissances. Ensuite, nous avons dû fournir berceaux et layette pour les nouveaux nés. Et bien sûr mon père et moi avions été nommés « parrains » d’office ce qui tissera de fortes relations avec nos « filleuls » pour de longues années.

Parmi ces réfugiés il y avait la famille Tombois. Ils m’avaient nommée marraine de leur fille et lui avaient donné mon prénom. Le baptême avait eu lieu sous le hangar. Ils arrivaient des Ardennes et étaient totalement démunis. Heureusement on avait pu leur trouver un petit logement un peu plus loin dans la rue, que l'on avait équipé avec lits, table et une vieille cuisinière. Et chaque jour on leur fournissait de quoi se nourrir.

L’approvisionnement en nourriture pour 48 personnes n’était pas chose facile. On gardait le lait des vaches, les œufs, les volailles, les cochons. Tous les produits de la ferme y passaient, toujours offerts de bon cœur et gratuitement (il n’existait pas de marché noir au Logis comme cela arrivait parfois ailleurs, le malheur des uns faisant le bonheur des autres).

Les familles essayaient de participer aux tâches quotidiennes à la ferme. Nous étions une quinzaine entre cousins, cousines et jeunes réfugiés, et nous occupions comme nous pouvions en rendant de petits services.

Malgré cette période difficile nous nous amusions de petits riens.

Plus les jours passaient plus l’ennemi progressait. Paris occupé, ils continuaient à envahir le pays, faisant d’innombrables prisonniers de guerre. En déroute, l’armée Française fuyait.

Puis un jour à la radio l’on entendit le discours de Pétain, annonçant l’armistice, et tout le monde trouva cela honteux. La France était coupée en deux !

Plus tard l’on apprit que, le lendemain, De Gaulle, un général Français, avait depuis Londres appelé les Français à entrer en résistance, et demandé aux soldats de le rejoindre pour former une armée. C’était le 18 Juin. Comme tout cela était confus.

Quelques jours plus tard les Allemands arrivèrent à Niort. Puis un matin, l'on vit des motos suivi d'une automitrailleuse traversant la grande rue de La Foye. 

Cette fois-ci nous étions bien en zone occupée. Les pauvres réfugiés étaient sidérés de voir cela et ne pensaient plus qu’à repartir chez eux. Qu’allaient-ils trouvé à leur arrivée ?

Tous repartirent peu à peu. Il ne restait plus que notre famille de Paris avec nous.

C’est alors, qu’une autre aventure intervint au Logis. Un soir aux environs de 23 heures, une voiture entra dans la cour. Nous prîmes peur. Il ne restait plus que Maman, grand-mère et moi qui n’étions pas couchés.

Un monsieur de forte stature, très grand, descendit et frappa à notre porte. « Je suis Maurice Schumann, je suis un ami du capitaine Sachs, je vous amène une malle et une cantine du capitaine. Il vous les confie pour que vous les cachiez. Rassurez-vous, il a pu rejoindre Londres, mais il s’inquiète pour sa femme et sa fille qui sont ici avec vous. Il faudrait leur faire passer la ligne de démarcation. En zone libre elles seraient plus en sécurité ». C’était une lourde tâche qui nous attendait !

Effectivement nous avions un cousin par alliance qui était capitaine interprète dans l’armée française mais il était juif et donc en danger.

Maurice Schumann. Écrivain, journaliste

iIl fut par la suite ministre de la justice. Ce qui m'impressionnait c'était la chevalière qu'il portait à un doigt. Je n'en avais jamais vu comme cela.

 Grand-mère Alina, toujours très accueillante, lui proposa un dîner, ce qui fut fort apprécié.

En confiance, il nous confia qu’il avait rendez-vous sur la côte pour s’embarquer cette nuit même sur un bateau de pêche pour passer en Angleterre et rejoindre Londres. Là-bas il pensait continuer son activité de journaliste et de combat contre les nazis.

Tout en nous remerciant il nous demanda d’écouter la radio de Londres : Si vous entendez ma voix annonçant « Les cigognes sont bien arrivées », vous saurez ce que cela veut dire. Effectivement 3 ou 4 jours plus tard nous avons entendu ce message et nous furent rassurés. Papa avait acheté une radio quelques années auparavant. Elle était installée sur une étagère dans la cuisine. Le soir après le repas tout le monde se rapprochait. Papa touchait le bouton jusqu’à ce que l’on entende des voix et parfois de la musique au milieu de beaucoup de grésillement ; " Silence ! " nous disait-il.

Le plus dur maintenant était de faire passez les cousines Sachs en zone libre. Après réflexion, mon père Albert alla trouver Monsieur Penot, mon ancien instituteur de La Foye. Celui-ci, parait-il, fréquentait des réseaux de résistance qui sauraient quoi faire. Il expliqua que la ligne de démarcation se trouvait près de Limoges et que la-bas il avait des amis. 

Et donc, Papa qui avait obtenu un laissez-passer pour le département, les emmena en voiture jusqu’aux confins des Deux-Sèvres. Il craignait des contrôles, mais, passant par des petites routes, tout se passa bien. 

A Sauzé-Vaussais, une voiture les pris en charge jusqu’en zone libre. De là elles partirent s’installer aux environs de Toulouse. Quelques semaines plus tard elles nous firent parvenir de leurs nouvelles.  Nous étions rassurés.

Et chez nous, en zone occupée, la résistance se renforçait de plus en plus. Nous savions qu’il existait un maquis à Vallans et un autre assez important en forêt de Chizé. Les membres avaient pour but d’empêcher les trains d’armement d’arriver à leur destination, de récupérer les parachutages anglais d’hommes ou de munitions.

Ces résistants étaient isolés et avaient beaucoup de difficultés à se ravitailler. Ayant été informé, Papa, avec l’aide de quelques voisins de confiance leur préparait légumes, viande, pain (que ma grand-mère faisait dans le grand four au bout de la maison), puis cachait tout cela dans une charrette remplie de bottes de foin. Et avec sa jument Lina, il partait porter du foin à ses bêtes qu’il avait mises au pâturage près de La Charrière. Là il avait rendez-vous avec des partisans. C’était risqué et tant qu’il n’était pas de retour c’était l’angoisse à la maison. Heureusement, pour lui et pour nous, tout s’est bien passé.

Toutes les communes du département furent occupées par l’ennemi, et donc, comme on pouvait s’y attendre, un groupe de S.S s’installa à La Foye. Ce furent deux officiers S.S qui s’attribuèrent la petite maison en bout notre propriété. Bien sûr il avait fallut leur préparer meubles et lits. L’un des deux, assez gentil, nous prévint de se méfier de son camarade très hitlérien; Il parlait très bien le Français ayant été étudiant aux Beaux-Arts à Paris. Il avait été enrôlé de force. Notre grande crainte était que le grand-père Eugène qui avait vécu les atrocités de la guerre 14 ne manifeste un peu trop ses sentiments. Souvent nous devions l’empêcher de parler…


Bien sûr, il fallut céder à tous leurs désirs : Tuer telle volaille de la basse-cour et leur cuisiner, ou bien, avec leurs camarades venus pour l’occasion, les voir tirer au revolver sur des chèvres que nous devions ensuite leur préparer.

Ils se réservaient toute notre récolte de grain, de pommes de terre et autres légumes, et pour arriver à en sauver un peu il fallait les cacher. Par exemple les cheminées étaient pleines de sacs de blé. Il y en avait aussi sous les lits.

Dans la grange on moulait et tamisait la farine, puis ma grand-mère faisait du pain une fois par semaine dans notre grand four, bien sûr les jours où ils n’étaient pas là. Ce jour-là, mon grand-père faisait brûler de vieux pneus afin de masquer l’odeur car nous n'étions qu'à quelques mètres de la chambre des allemands.

Il fallait aussi tuer des cochons en cachette, et qu'il fallait nettoyer au chalumeau afin d’éviter feu et fumée. En fait nous devions nous cacher de tout pour arriver à nous nourrir !

Un jour, ils choisirent deux de nos plus beaux chevaux, ceux qui faisaient la fierté de mon père, lui qui prenant tant de soin pour les élever, pour les emmener dans la cavalerie de leur armée, et tout cela sans excuses ni dédommagement.

Ils demandaient aussi à mon père de leur emballer bonbonnes de Pineau et de Cognac afin qu’ils l’expédient à leur famille en Allemagne. Et mon père devait leur apporter des bottes de foin pour l’emballage. Ce que mon père ignorait c’est qu'un jour, dans une botte se trouva une épine, qui vint se planter dans la main de l’allemand persuadé qu’il l’avait fait exprès. Il sortit son revolver et le braqua sur mon père. Heureusement l’autre détourna l’arme juste à temps. Nous lui devons une fière chandelle !

Pendant toute cette période, il y avait restriction sur tout dans les magasins et l'on nous distribuait des tickets de rationnement pour les produits alimentaires. 


Plus de café ! Grand-père, très ingénieux, avait fait un moulin à torréfaction avec des morceaux de tôle, dans lequel nous mettions des grains d’orge et de blé pour les faire torréfier. A la fin l’on obtenait une espèce de breuvage qui ne ressemblait pas vraiment à du vrai café, mais c’était mieux que rien.  Il cultivait aussi des betteraves à sucre qu’il faisait ensuite bouillir des journées entières pour en faire une sorte de mélasse qui nous servait de sucre…

Quant à moi,  j’ai appris à filer au rouet la laine des moutons, puis à tricoter des pulls pour toute la famille. De son coté, Maman faisait du savon avec de la graisse et de la soude caustique et de la résine… Cela lui créait des brûlures sur la peau des mains… Enfin après plusieurs essais elle arriva à créer des savonnettes que nous devions ensuite parfumer. C'était la période de la débrouillardise !

Le couvre-feu était à 21 heures et on nous coupait l’électricité. Mais cela ne nous gênait pas trop car l'on avait l'habitude, celle-ci n'ayant été installée au village qu’en 1930.

Il fallut donc reprendre les vieilles lampes à pétrole et quand le stock de pétrole fut épuisé dans les épiceries du village, l’on ressortit les lampes à carbure. On en trouvait dans une droguerie à Niort en échange d’œufs et de beurre. Puis il y eut aussi pénurie de bougies, alors on fit fondre du suif des moutons. On en avait toujours en réserve pour graisser les essieux de charrettes. 
Une fois fondu et versé dans les moules en bois que grand-père avait confectionnés, nous mettions une mèche à l’intérieur et cela nous faisait des bougies qui nous convenaient, sauf l’odeur bien évidemment. Mais il fallait bien se débrouiller.

Hélas, l'on ne pouvait plus écouter la radio car les allemands étant là, juste à coté de nous. Cela nous embêtait réellement car nous avions pris l'habitude d'écouter radio Londres, la seule à travers laquelle l'on pouvait avoir de vraies informations, celle de Paris étant aux mains de la propagande de Vichy. 

Ce couvre-feu nous déplaisait particulièrement, nous les jeunes, qui attendions avec impatience les veillées pour nous retrouver avec toute l’équipe ! Notre point de rencontre était souvent chez notre amie Line (L’épicerie Racaud, en plein centre du bourg). Mais pour y aller il fallait user de ruses de sioux et passer par les « venelles » détournées. Arrivés chez elle, nous jouions aux cartes et faisions des crêpes à la lueur d’une bougie, et tous se taisaient quand les soldats faisaient leur ronde. Le bruit des bottes sur le trottoir nous prévenait ! 

Nous allions aussi à travers champs voir nos amis du Puyroux et du Grand Bois, souvent à l’insu de nos parents qui ne l’auraient pas permis de crainte du danger. Mais à l’époque nous étions insouciants et cela nous amusait.

Un jour « Karl Schmitt » comme il s’appelait, celui qui était le plus gentil avec nous, vint nous prévenir qu’ils avaient décidé de faire la fête dans leur logement au bout de notre maison, qu'ils allaient faire un grand repas avec leurs camarades logés dans les villages des alentours, et qu’il faudrait que la jeune fille de la maison aille les servir. Mes parents le remercièrent de les avoir prévenus et m’envoyèrent pour plusieurs jours passer quelques jours avec Line chez sa sœur Lucienne mariée à Prin-Deyrançon. Effectivement ils me demandèrent mais Maman dit que j’étais absente, très loin, chez des amis. Ne le croyant pas ils dirent à maman de prendre sa place pour faire le service, mais heureusement « Karl » leur dit qu’elle était trop occupée avec les animaux. Ils en trouvèrent d’autres aux alentours, plus dociles. Plus tard on leur tondra les cheveux sur la place du village.

Puis à la fin de l’été 1942, les S.S qui occupaient La Foye partirent ainsi que dans les autres villages des alentours. Mais les villes restèrent occupées. A Niort il y avait toujours la « Kommandantur ». Nous étions soulagés mais la peur subsistait toujours car l’on voyait passer de temps en temps des automitrailleuses dans le bourg.

Malgré cela, la vie reprenait à peu près normalement au village. Heureusement pour nous les jeunes il y avait le théâtre pour nous apporter un peu de distractions. Et dans cette période où il n’était plus possible de voyager il se créa entre nous des amitiés profondes qui durèrent pendant des années.

A la radio l’on entendait parler de faits de résistance, de bombardements, et aussi parfois des bruits d’avions au-dessus de nous venant mitrailler des dépôts d’armement.

Puis enfin, un jour nous apprîmes que les alliés avaient débarqué sur les plages de Normandie. C’était le 6 Juin 1944. Nous avons suivi tout cela à la radio.

L'histoire du "pilote Anglais"

Le passage d’avions au-dessus de la maison se faisait plus régulier. Un jour que, avec ma cousine Jacqueline Pierre, réfugiée à la maison, nous les observions à partir de la fenêtre du grenier, nous entendîmes deux avions de chasse se pourchasser et se mitrailler; Ils partaient en direction d’Ussolière. Tout d’un coup l’on entendit un grand « boum », puis l’on vit de la fumée au loin. 


Aussitôt, très intrépides, nous enfourchâmes nos vélos, sans rien dire aux parents, bien évidemment !. Nous partîmes dans cette direction en pédalant le plus vite possible pour arriver sur les lieux. Au milieu d’un champ, en face de la ferme de Madrid, nous vîmes des débris d’avion, mais en nous avançant, il y avait des débris humains ! ce qui nous traumatisera pendant de nombreuses années. L’odeur de brûlé me hante encore ! Jacqueline en avait des bouts sur ses chaussures en semelle en bois.
Il n’y avait personne autour de nous, nous pensions être les premières sur les lieux, mais rapidement nous entendîmes des bruits de motos et de véhicules qui nous sortirent de notre stupeur. Les Allemands arrivaient.  
Vite ! Nous reprîmes le chemin en pédalant aussi vite que nous pouvions. Quelle frayeur ! A l’arrivée, mes parents ayant appris l’escapade furent très en colère et nous fûmes punies. Il est vrai qu’à notre âge nous étions vraiment insouciantes.

Ce que nous ne savions pas c'est qu'ils étaient deux dans l'avion. Le second était juste blessé et avait été secouru par des sympathisants de la résistance à Ussolière. Craignant l'arrivée des Allemands ils l'avaient amené chez un autre sympathisant à La Foye, Roger Laidet. C'était notre voisin habitant Rue de l'Ancien Castel. 

 

Roger Laidet et sa femme Marthe avaient soigné le blessé comme ils avaient pu. C'était un officier Anglais ne parlant que quelques mots de Français. Mon père Albert, également sympathisant était au courant mais ne nous avait rien dit.

Mais dans la commune il n’y avait pas que des résistants Certains, qu’on appelait « les collabos » avertirent les autorités allemandes du parachutage. Les soldats fouillèrent la maison Laidet de fond en comble mais ne trouvèrent rien car Roger s’était caché après avoir fait partir l’anglais pour qu'il trouve une nouvelle cachette. Et pour masquer les traces de sang dans le lit, sa femme Marthe y avait fait coucher son fils Pierre, prétextant qu’il avait la grippe et saignait du nez. Dépités les soldats emmenèrent la pauvre Marthe à la prison de Pierre-Levée près de Poitiers.A son retour Roger fut également convoqué à la Kommandantur à Niort mais ne révéla rien.

Un peu plus tard, un matin ou maman était en train de traire les vaches dans l’écurie, elle entendit quelqu’un descendre de l’échelle qui menait au grenier situé juste au-dessus. Sachant Papa et les domestiques partis aux champs, elle prit peur. Elle vit un jeune homme vêtu d’un treillis, la tête recouverte de bandages, mettant un doigt sur la bouche en guise de « chut ! ». Elle comprit que c’était l’anglais. Comme les allemands étant dans les parages, elle lui fit signe de remonter se cacher immédiatement après lui avoir donné une gamelle de lait. Ce fut juste car peu après les allemands débarquèrent, mitraillettes au poing, fouillant notre maison et les écuries, mais, par miracle, oublièrent le grenier, ce qui sauva notre anglais. Ils essayèrent aussi de faire parler toute la maisonnée en vain et repartirent furieux. Tout cela nous sembla une éternité !

Rentré des champs et maman lui ayant raconté l’affaire, Papa installa l'Anglais dans sa carriole sous des sacs de paille et le conduisit jusqu’à l’orée de la forêt de Chizé. Là, il fut récupéré par les maquisards.

Puis début septembre 1944, c’était le 6 je m'en souviens encore, l’on apprit que les allemands avaient quitté Niort et que la ville était libérée. L’on pouvait enfin respirer !

Au-delà de la joie, venait maintenant le temps de suspicions et des règlements de compte, certains dans le village ayant été complaisants, voire collaborateurs avec les allemands. 

Puis peu à peu la vie d’avant repris son cours, en attendant le retour de ceux qui avaient été prisonniers. et il y en avait plusieurs au village.

 

 

Aucun commentaire: